[
./ludi_fic_souviens_toi_chap_11_2pag.html]
''Souviens-toi'' by Ludi
Chapitre 11
Il s’était mis à neiger. Lys voyait les flocons tomber derrière la vitre de sa fenêtre. Elle aurait voulu sortir et sentir le froid lui fouetter le corps et l’esprit, mais elle était là, dans ce lit d’hôpital, à somnoler tout en lisant un livre. Elle n’avait même pas envie de travailler. Elle savait que Kanon s’occupait de tout et elle avait une confiance presque aveugle en lui.
Quand elle l’avait vu entrer dans sa chambre et s’asseoir à côté de son lit, Rhadamanthe à ses côtés, elle avait eu envie de hurler et de les jeter dehors tous les deux. Mais elle s’était tue, sa voix bloquée dans sa gorge. Kanon la regardait avec de l’inquiétude dans les yeux, tout comme son cousin.
Pendant quelques secondes, la jeune femme les avait imaginés blêmir au téléphone, faire leurs valises et sauter dans le premier train. Quand son adjoint avait pris sa main dans la sienne, Lys s’était contentée de sourire, comme pour lui dire qu’elle allait bien. Dans le fond, elle était soulagée qu’il soit là.
Saga était passé la voir avec Mû et Kiki. Elle avait senti son inquiétude, même s’il la cachait. Elle s’était plainte pour la forme, elle n’était pas mourante, mais elle était heureuse qu’ils soient venus quand même. C’était agréable de se sentir aimée. Et qu’on s’inquiète un peu pour sa santé… Évidemment, elle ne l’aurait jamais avoué.
Ça faisait maintenant deux jours qu’elle était dans cette chambre d’hôpital, elle pourrait sortir le lendemain. Rhadamanthe s’était déjà installé chez elle, il resterait toute la semaine. Elle trouvait ça génial, elle allait pouvoir lui tirer en toute tranquillité les vers du nez pour savoir comment ça avançait avec Kanon.
Elle eut un sourire en pensant à son adjoint. Puis, sans vraiment s’en apercevoir, ses pensées dérivèrent vers son travail, et d’autres visages qui s’étaient accumulés ici, les uns après les autres. D’abord, il y avait eu sa mère, terriblement inquiète qui lui posait mille et une questions auxquelles Lys répondait par monosyllabes, trop fatiguée pour faire des phrases trop longues.
Ses frères étaient venus, aussi. Henri travaillait à l’hôpital, rien d’étonnant à ce qu’il vienne prendre de ses nouvelles. À nouveau, elle avait eu droit au questionnaire sur son amant, la blonde l’avait envoyé balader. Puis il y avait eu René Charles et Jean. Elle était certaine qu’ils étaient venus pour s’assurer qu’elle était toujours en vie. Des fois qu’elle clamse, avec ce qu’elle avait dans le ventre… mais ne soyons pas trop optimiste.
Agnès était passée, aussi. Une fois, puis deux. Elle venait prendre des nouvelles, mais elle voulait aussi lui parler de son amant. De son divorce. De cet enfant qui grandissait dans son ventre. En fait, ce type ne voulait plus d’elle parce qu’elle attendait un enfant. Son mari ne voulait plus d’elle parce qu’elle était enceinte d’un autre. Elle voulait des conseils et de l’aide. Lys lui avait dit de vivre sa vie et de la laisser tranquille. Son père ne la harcelait pas, elle.
Sa sœur aînée était partie, vexée, mais la blonde savait qu’elle reviendrait. Un peu comme son père, qui partait en colère mais qui finissait toujours par revenir, un jour ou l’autre. Ah, celui-là… Il était passé elle ne savait combien de fois la voir, en deux jours. Les médecins lui avaient dit franchement que c’était à cause du stress et de la fatigue qu’elle était tombée de fatigue. Sa fille avait failli perdre ses enfants, ou provoquer un accouchement bien trop avancé. Maintenant, il lui était interdit de travailler et de voyager.
Son père n’avait pas manqué de se mettre en colère en apprenant ça. Lys se sentait d’attaque pour riposter, mais ce fut Kanon qui péta un câble. À se demander s’il n’allait pas rôtir son père sur place. Il s’était d’ailleurs enfui la queue entre les jambes. Un peu plus tard, elle sut par Saga que Rhadamanthe en avait rajouté une bonne couche de son côté, il était rentré dîner légèrement sur les nerfs.
Ainsi, son père passait de temps à autre à l’hôpital prendre de ses nouvelles et essayer de s’excuser, mais Lys l’ignorait. Elle avait mieux à faire que d’écouter ses tentatives d’excuses. À savoir trouver une excuse pour les fêtes. Les médecins, et Rhadamanthe, Kanon et Saga, refusaient qu’elle voyage dans son état. Comment expliquer ça à son chéri ? Comment lui dire qu’elle ne pourrait passer les fêtes avec lui ? Elle avait envie de pleurer rien qu’à penser qu’elle ne le verrait plus avant la naissance de ses enfants… ou avant qu’elle n’ait le courage de tout avouer à son père…
Lys poussa un long soupir. Elle allait bien trouver quelque chose. Elle allait réussir à lui expliquer la situation sans qu’il ne s’inquiète trop. Du moins, elle l’espérait.
On toqua à la porte et deux personnes entrèrent dans la pièce. Lys fit un sourire à son frère, son sauveur, et à Ingrid. Elle tenait un grand bouquet de fleurs dans les bras, un sourire joyeux sur les lèvres. Celle-là, c’était la seule avec Aaron à ne pas l’avoir harcelée pour savoir qui était son amant mystère. À vrai dire, du moment que sa sœur allait bien et que ça ne dérangeait pas sa vie, qu’importe avec qui elle se mettait en couple.
Aaron l’embrassa sur la joue, puis Ingrid lui fit un gros câlin et se mit à papoter gaiement, lui parlant de son stage dans une entreprise où elle devait être interprète. Lys écouta son blabla en se disant que ça changeait un peu de tout ce qu’elle pouvait entendre.
***
« Arrête de tourner en rond, tu me donnes le tournis.
- Quand est-ce qu’il rentre, ce crétin ?
- Bientôt, ne t’inquiète pas.
- On ne sait jamais, avec lui, il ne rentre jamais à la même heure. »
Phrase à ne pas dire. Rhadamanthe partit comme une flèche dans le salon chercher son portable alors que Saga lançait un regard exaspéré à Mû qui lui fit un sourire d’ange. Quelques secondes plus tard, l’anglais revint en pestant après un « dragon de pacotille qui n’a jamais son portable allumé ».
« Il n’est que neuf heures et il lui arrive de rentrer à onze heures.
- Crétin de dragon.
- Maman poule.
- Pardon ?! »
Saga éclata de rire alors que Rhadamanthe jetait un regard noir au malade, pas si malade que ça tout compte fait, qui lisait sagement son roman. Mû n’était pas désagréable mais il avait la sale manie de sortir des petits mots comme ça qui mettaient en rogne…
Soudain, la porte d’entrée s’ouvrit. Kiki, assis dans le salon pour regarder la télé, cria un « Ah bah enfin ! » alors que Rhadamanthe poussait un soupir quelque peu soulagé. Mû dit à Saga que ça ne servait à rien de s’inquiéter, Kanon rentrait tard et souvent sans ses clés, mais il finissait toujours pas retrouver le chemin de la maison. Comme les chats perdus, quoi. Cette fois-ci, Rhadamanthe rejoignit Saga dans son hilarité, Kanon se demanda bien ce que ce malade pas si malade que ça avait bien pu dire encore. L’image de Kanon avec des oreilles de chat et tout crade venait de leur effleurer l’esprit.
L’adjoint de Lys entra dans la cuisine, embrassa Rhadamanthe sur la tempe, puis son frère, mais bouda Mû qui lui dit qu’il n’avait rien fait de mal, sauf que Kanon savait très bien que cette tête d’ange s’était encore moquée de lui. Avec Saga et Kiki en prime, il était bien entouré, tiens…
Kanon s’assit, ou plutôt se laissa tomber, sur une chaise et Saga fit réchauffer son assiette dans le four à micro-ondes, alors qu’il leur résumait sa journée. Une journée harassante, car non seulement il y avait eu des rendez-vous, quelques peu difficiles maintenant que Lys n’était plus là, mais en plus il avait vu de la famille à la patronne…
« Tu as vu qui ?
- Jean et le paternel.
- Génial. De quoi te pourrir la journée.
- Je te remercie pour ta compassion, Rhadamanthe. Enfin bon, c’est surtout les rendez-vous qui m’ont embêté. Il y en avait beaucoup aujourd’hui, et sans Lys…
- Où est le problème ? »
Saga servit du thé à Mû et Rhadamanthe avant de remplir sa propre tasse et de s’asseoir à table.
« Disons que… Bah d’abord, j’ai plein pouvoir, ou quasiment, puisqu’elle est à l’hôpital, alors soit on me traite comme un abruti, soit on fait le faux cul.
- Ça, c’est le plus chiant quand tu succèdes à quelqu’un. Mais bon, tu leur mets un coup de boule à chaque fois qu’ils te gonflent et ça roule.
- Comment gérer une entreprise, par Ryan Wolf.
- Tu sais ce qu’il te dit, le Ryan Wolf ? »
Ouais, décidément, quand c’était pas Mû, c’était Saga qui s’y mettait.
« Aussi, y’a les parasites comme Pacaly, je peux plus le voir en peinture.
- Qui c’est ?
- Un amour de jeunesse de Lys. Il espère encore, va comprendre. Elle est enceinte jusqu’au cou, mais à part ça… »
Philippe Pacaly était plutôt agréable à l’œil. Un homme bien habillé, bien coiffé avec une voix grave et des yeux bleus qui donnaient froid dans le dos quand il était énervé. Enfin, ils donnaient tout le temps froid dans le dos, mais c’était pire quand il était sur les nerfs. Kanon comprenait sans mal que Lys ait été attirée par ce gars-là, un grand ténébreux, mais il le trouvait légèrement… collant. Et un peu trop sûr de lui, aussi…
Tout en buvant son thé, Rhadamanthe essayait de mettre un visage sur ce nom, et il revit ce glaçon ambulant qui ne semblait se réchauffer qu’au contact de sa cousine. Cousine qui l’avait vite laissé tomber quand il lui avait fait part, à demi mots, qu’il voulait l’épouser. Lys avait autre chose en tête que le mariage, à l’époque, et même aujourd’hui, il doutait qu’elle ait envie de se marier, ce n’était pas un idéal pour elle, juste une signature sur des papiers.
« Je vois de qui tu parles. Un glaçon sur pattes un peu trop sûr de lui. Tellement sérieux que c’est à vomir.
- Ça doit être ça.
- Elle était vraiment amoureuse ? »
Saga ne connaissait pas vraiment le passé de Lys. À part qu’elle avait six frères et sœurs ainsi qu’un père emmerdant, il ne savait pas grand-chose. Pas qu’il était spécialement curieux, mais on ne pouvait pas dire que Lys était très ouverte en ce qui concernait sa vie personnelle, même s’ils étaient plutôt proches.
« Amourette de jeunesse. Remarque, il est plutôt pas mal, le genre grand brun ténébreux. Mais elle est un peu trop sauvage pour lui, c’est une fille soumise qui lui faut, pas une nana comme Lys. »
D’ailleurs, quand il y pensait, leur liaison n’avait pas duré plus de deux ou trois mois… Rhadamanthe eut un léger sourire ironique.
« Sinon, et vous deux ? »
Saga lui dit qu’à part taper sur son ordinateur, il n’avait pas fait grand-chose de la journée. Rhadamanthe, quant à lui, était passé voir un peu la famille, histoire de ne pas se faire remonter les bretelles par son père une fois rentré chez lui. Rien de bien intéressant, en somme.
***
Il eut à nouveau cette sensation de flottement… Comme si son esprit quittait son corps, flottant dans les airs pour revenir dans son enveloppe un peu plus tard, ramenant avec lui des images inconnues. Pas d’eau autour de lui, juste des couvertures chaudes, alors Mû se laissa aller à ces doux songes, les yeux clos.
À nouveau, son regard errait sur les campagnes verdoyantes, où s’éparpillaient çà et là des petites maisons, puis des routes apparurent, des bidonvilles, des bâtiments plus ou moins élégants, plus ou moins habités.
Ralentissant l’allure, il se laissa tomber dans les rues animées par les marchés, écoutant à peine ces hommes et ces femmes enveloppées de saris remplir les allées de leurs voix. Non, il préférait avancer, flottant au-dessus de tous ces visages inconnus dont il distinguait à peine les traits.
Sans vraiment savoir pourquoi, il cessa son chemin et son visage se tourna lentement sur une vitrine. Une vitrine propre qui laissait voir le bar qu’elle protégeait de la cohue à l’extérieur. Un léger sourire se formait sur ses lèvres, alors qu’il distinguait un visage, parmi tous ceux qui entouraient les tables arrondies.
Il se sentit entrer dans cette salle enfumée et moite, il pouvait presque sentir l’odeur de la nourriture, du café et de la cigarette. Mais ses yeux étaient posés sur ce jeune homme si différent des autres, si beau et serein. Une lueur de tristesse vacillait dans ses yeux bleus, mais ce n’était pas cela qui attirait le regard de ces femmes modernes qui tenaient un bâton de tabac entre leurs lèvres. C’étaient ses cheveux blond doré qui faisaient briller leurs yeux, ces cheveux qui descendaient juste sous ses épaules, auréolant son visage d’ange.
Pendant un instant, Mû eut envie de l’appeler. De crier son nom, mais il sentait une main sur son épaule, entendait une voix à son oreille, et la vision d’estompait déjà, s’enveloppant dans un brouillard trop épais pour qu’il puisse y distinguer quand chose…
***
Abandonné dans les bras de Morphée, Mû sommeillait dans son lit, le visage serein et le corps détendu sous la couette épaisse. Pendant quelques minutes, Saga le regarda dormir, enviant un peu sa capacité à fermer les yeux et laisser son esprit dériver sans se réveiller à cause de ses cauchemars. Enfin, tant qu’à faire, autant que Mû ait un sommeil doux plutôt que perturbé.
Saga avait toujours du mal à s’endormir et il lui arrivait de faire des nuits blanches, ou alors de se réveiller à cause d’un cauchemar. Cette voix si familière et si étrange à la fois résonnait dans sa tête, comme le bruit entêtant d’une cloche. Et puis des visages, des morts, des papiers qui volent autour de lui, arrêts de morts ou de vie… Les thermes purificateurs qui lui permettaient de se réveiller de sa transe, ces miroirs le long de murs, le narguant discrètement. Il pouvait presque les entendre rire quand il passait devant eux et qu’un autre reflet le défiait de ses yeux malveillants…
D’un geste nerveux, le grec secoua l’épaule de son ami pour le réveiller. Et accessoirement se réveiller lui-même… Mû ne tarda pas à ouvrir les yeux et à le regarder vaguement, l’esprit encore embrumé par le sommeil réparateur. Il lui fit un sourire, tout en essayant de distinguer ce qui se trouvait autour de lui. C’est alors que deux lèvres se posèrent sur sa joue, et une mèche bleue lui chatouilla le nez.
Ravi, il enserra le cou de Saga, l’attirant plus prêt de lui, alors que le grec glissait ses bras autour de lui pour le serrer contre son corps. Le serrer fort, comme s’il avait peur qu’il s’envole. Cet être chéri, cet ange tombé du ciel dont on avait blessé les ailes. Il finirait pas repartir, un jour. Loin de lui. Très loin…
Avec tendresse, le tibétain caressait les longs cheveux du grec, comme pour le rassurer. Il respirait son odeur, le parfum de sa peau au creux de son cou, alors qu’il le sentait se détendre sur lui, ses bras autour de sa taille, l’emprisonnant avec douceur. Pour essayer d’apaiser un peu Saga, Mû prononça quelques mots qu’il aurait mieux fait de garder pour lui.
« Saga… C’est qui, Shaka ? »
***
Rhadamanthe raccrocha et poussa un soupir. Il lui semblait pourtant avoir prévenu son père de son départ… Enfin, c’était un vieux qui ne voulait bien entendre que ce qu’il voulait. Maintenant, il était rassuré, il pouvait rentrer chez lui en paix. Pas de cancer à l’horizon, alors il n’avait plus de raison de rester plus longtemps à Londres.
L’anglais revint dans le salon où se trouvait Saga qui regardait vaguement la télévision. Mû était à l’étage. Sa fièvre était tombée mais ils l’avaient retrouvé endormis dans le canapé. Un coup de barre, sûrement. Et Saga n’avait pas envie de le déranger en tapant sur le clavier de son ordinateur. Et n’avait pas d’inspiration, non plus.
Saga leva les yeux vers son ami, quittant cet air rêveur qu’il traînait derrière lui depuis le début de la matinée. Rhadamanthe s’assit à côté de lui.
« Un problème ?
- Mon père n’a apparemment pas reçu mon coup de téléphone pour le prévenir que je partais pour la France. Il me semblait lui avoir parlé, mais bon.
- Et son cancer ?
- Son médecin voulait le tuer avant l’heure, il n’a rien du tout.
- C’est génial, tu dois être rassuré.
- Oui. Il arrêtera de me casser les pieds. »
Saga eut un sourire moqueur, puis il retomba dans sa rêverie. Il se passa quelques minutes de silence, à peine troublé par la télévision, avant que l’anglais ne se décide à le briser.
« Qu’est-ce qui te tracasse ?
- Rien.
- Tu peux dire ça à ton frère mais pas à moi. »
Rhadamanthe regarda le grec, attendant qu’il tourne les yeux vers lui. Saga s’y résigna. Bien sûr que quelque chose n’allait pas, mais il ne pouvait pas faire grand-chose pour arranger son problème. Il ne pouvait rien faire, et dans le fond, il ne voulait pas changer les choses. C’était impossible.
« Je crois que j’ai peur.
- Que Mû retrouve la mémoire. »
Rhadamanthe s’en doutait. Ce n’était plus un secret pour personne, Saga et Mû étaient amoureux. Ou du moins cette partie innocente et amnésique du jeune homme. Kiki ne l’avait pas si mal pris que ça, ce qui surprit beaucoup Saga et Kanon.
D’ailleurs, ce dernier évitait maintenant de taquiner son frère à propos de ses sentiments pour le tibétain car Saga n’hésitait plus à lui faire des remarques sur sa propre relation avec Rhadamanthe. Comme leur première nuit ou même leur premier baiser. C’était suffisamment discret pour que Kiki ne comprenne pas, ce qui n’était cependant pas le cas de Rhadamanthe.
Mais entre Mû et Saga, ce n’était pas comme entre son frère et l’anglais. Il y avait toujours la peur et le désir, paradoxalement, que Mû redevienne lui-même. Qu’il oublie Saga, que tout redevienne comme avant. Juste retour des choses. Douloureux retour des choses.
« J’ai peur que tout ça s’arrête.
- Tu es vraiment amoureux, toi. »
Saga ne répondit pas. Il s’interdit de répondre, et Rhadamanthe s’en doutait. Impossible d’avouer ce sentiment à voix haute ou dans son esprit. Ce serait comme un crime. Et Mû n’était pas dans son état normal. S’il ne disait rien, il n’espérait rien, et il serait moins déçu le moment venu.
« Ça n’est pas encore pour tout de suite, tu sais.
- Mais ça commence à revenir.
- Ah bon ?
- Il fait des rêves. Il voit les autres, sûrement dans leur vie actuelle. Il ne se rappelle pas de leur nom et tout juste de leur visage.
- Et il en a reconnu un.
- Oui. »
C’est qui, Shaka ?
Un ami. Un vieil ami à toi, Mû, avait-il répondu. Que pouvait-il dire d’autre ? Cette question l’avait bouleversé. Mû commençait déjà à se souvenir de son passé, à travers des prénoms. Il y avait eu d’abord des visages, mais cela n’avait pas… inquiété Saga. Maintenant, c’était différent.
« Il ne va pas tarder à se souvenir de tout.
- Espérons que ce soit le plus tard possible.
- Pas pour lui, il aimerait retrouver ses souvenirs.
- Mais toi tu resteras tout seul comme une cloche.
- Rhadamanthe…
- Tu n’oseras pas aller le voir et tu seras malheureux. J’espère que ça arrivera le plus tard possible. »
Dans le fond, Saga l’espérait aussi. Mais le retour des choses devait se faire, qu’il le veuille ou non. C’était ainsi…
***
« À quelle heure ils arrivent ?
- À dix heures.
- Demain ?
- Ryan Wolf !! Vous me cassez les pieds !!
- Pas la peine de t’énerver… »
Lys et Kanon étaient écroulés de rire sur la table de la cuisine. Saga était à deux doigts d’écarteler vivant ce sale british casseur de nerfs. Ceux de Saga étaient solides, mais quand même ! Voici quatre ou cinq jours, Saga ne savait même plus, que Rhadamanthe était à Paris et il n’arrêtait pas de lui demander quand, où et… quand… la charmante Corinne et ce crétin d’Éaque venaient à Paris.
« Rhadamanthe, pour la dernière fois, ils arrivent le vendredi 15 décembre, à savoir demain, à dix heures trois précises.
- Et vous arriverez quand chez toi ?
- Mais je vais le tuer, celui-là… »
Et pas seulement lui, ces deux crétins qui pleuraient de rire dans leur coin allaient y passer aussi…
« Rhadamanthe, laisse tomber ou Saga va t’arracher la langue.
- On voit les connaisseurs… »
Kanon jeta un regard mauvais à sa patronne qui porta sa tasse à ses lèvres. Un bon chocolat chaud qui ne lui ferait pas de mal, surtout celui que Saga lui préparait. Tellement sucré que c’était à vomir. Mais elle adorait ça. Et elle adorait aussi échanger sa tasse avec celle de Kanon, juste pour voir sa grimace.
« Et c’est qui, ta copine ?
- Ma copine ?
- Celle qui vient avec Éaque.
- Corinne ? Une amie me l’a fait connaître.
- D’ailleurs, ça fait un bout de temps qu’on n’a pas eu de nouvelles d’elle. »
Tiens, maintenant qu’il y pensait… Kanon n’avait pas tort, elle n’avait pas appelé, ces derniers jours… Il allait essayer ce soir, juste pour voir ce qu’elle devenait avec son handicapé. Dont il ne connaissait toujours pas le nom, d’ailleurs. Ludivine était assez discrète sur son identité. Pas de doute que Médicis lui avait fait juré de ne révéler son nom à personne.
« T’inquiète pas, Rhadamanthe, tout va bien se passer. »
Du moins, Saga l’espérait. Lys regardait discrètement son cousin et elle ne put résister à en placer une.
« C’est quelqu’un de bien élevé, tu n’auras pas de problèmes avec lui. Rhadamanthe passe pour une brute à côté.
- Pardon ?!
- À ce point ?
- Tu sais que Rhadamanthe est méticuleux en ce qui concerne ses fringues, n’est-ce pas ? Imagine en puissance dix, c’est quelque chose !
- Et toi, tu dois être un homme des cavernes à côté, alors ?
- Kanon !! »
Rhadamanthe et Saga cachèrent leur rire du mieux qu’ils purent alors que la blonde lançait un regard noir à Kanon, tout en lui disant que lui était une bête sauvage si on suivait la comparaison. Le pauvre n’avait pas dit ça de façon méchante. Bah, y’a que la vérité qui blesse… Oh la la, ç’allait être beau à la maison, déjà que Rhadamanthe était gonflant là-dessus, qu’est-ce que ç’allait être…
***
La météo avait prévu une petite baisse de la température et elle ne les avait pas déçus. Il faisait un froid à ne pas mettre le nez dehors, ni même un chien. Saga avait failli donner un coup de pied dans le derrière de Sayuri qui refusait de sortir. D’ailleurs, la balade n’avait pas été longue, à peine avait-elle fait ses besoins qu’elle voulait rentrer. Ce n’était pas Saga qui allait se plaindre, il était gelé.
Il hésita longuement avant de prendre sa voiture pour aller chercher ses invités. Il n’avait pas vu ni même entendu au téléphone son « beau-frère », comme le disait moqueusement Lys, ce qui énervait particulièrement Kanon et le concerné. Ils n’étaient pas mariés, non plus ! Enfin… Le fait est que Saga n’avait pas vu l’anglais qui refusait d’être là quand Éaque arriverait.
Il embrassa Mû en lui disant que, s’il avait le moindre problème, qu’il n’hésite pas à l’appeler. Mû se contenta de lui sourire en lui promettant que tout se passerait rien. Et Sayuri était là pour le protéger, elle grognait à chaque fois que la porte d’entrée s’ouvrait, le froid pénétrant dans la maison leur donnant la chair de poule.
C’est donc en tenue de combat que Saga prit le volant de sa voiture en direction de la Gare de Lyon où ses deux invités ne tarderaient pas à arriver. Corinne l’avait appelé la veille, en lui demandant si ça ne le dérangeait vraiment pas d’accueillir un parfait inconnu tel que Éaque. Quoique, son compagnon lui avait assuré qu’il connaissait Saga de vue. Mais quand même… Le grec l’avait rassurée, ça ne le dérangeait pas.
En avance, l’homme resta un peu dans sa voiture un petit quart d’heure puis se décida à en sortir. Il avait enfilé un chaud manteau, une écharpe et des gants. Il aurait pu se trouver ridicule, ainsi emmitouflé, si la grande majorité des personnes qu’il croisa n’était pas habillée comme lui. Les enfants portaient des doudounes multicolores, certains éternuaient. Cependant, il aurait été inquiétant que le thermomètre affiche les trente degrés en décembre…
Saga regarda le grand panneau, cherchant le train, qui n’allait pas tarder à arriver. Il s’avança sur le quai, les mains dans les poches, attendant que le train soit là. Il le vit arriver à toute vitesse dans le large couloir, à sa droite. Les gens se précipitèrent hors des wagons, sautant dans les bras des uns et des autres. Contournant les gens qui tiraient comme des forcenés les valises, les autres stationnant en plein milieu du passage et les enfants courant presque devant leurs parents pour sortir de la gare, Saga chercha des yeux un visage connu.
« Saga !! »
Et il en vit un. Secouant la main, Corinne tirait sa valise, un grand sourire sur le visage. De la buée s’échappait de ses lèvres et ses yeux bruns brillèrent de bonheur en le voyant. Il la trouva encore plus jolie que la dernière fois qu’il l’avait vue. Ses cheveux bruns avaient un peu poussés et, malgré son épais manteau d’hiver, il la trouvait ravissante. Toujours pareille, elle n’avait pas vraiment changé.
La jeune femme lui sauta dessus pour le serrer fort dans ses bras. Ça faisait tellement longtemps qu’elle ne l’avait pas vu, ça faisait du bien ! Puis, elle lui présenta son compagnon, Éaque.
Il était comme dans son souvenir. Plutôt grand et élancé, son épais manteau noir masquait sa musculature, mais évidemment pas son visage qui attirait les regards. Il y avait dans sa figure quelque chose d’asiatique qui n’altérait en rien la virilité de son être. Ses cheveux tombaient en boucles savantes sur ses épaules, de longues mèches de cheveux noirs aux reflets bleutés, s’harmonisant avec ses yeux bleu foncé. Un bel homme, sans aucun doute.
Les présentations furent faites rapidement. Avec un léger sourire sans la moindre hypocrisie, Éaque tendit la main à l’ancien chevalier des Gémeaux qui la serra avec chaleur. Premier signe d’une nouvelle amitié, Saga l’espérait.
Ou l’ambiance allait être terrible à la maison…
***
Suite du chapitre ici. ;)
[
Web Creator]
[
LMSOFT]