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''Souviens-toi'' by Ludi Chapitre 12 Le sommeil le quittait. Pourtant, il n’avait pas du tout envie de le quitter. Il se sentait bien, au chaud. En sécurité. Il sentait un poids allongé sur lui, sur son torse, une main sur sa hanche, une tête sur son épaule. Un doux parfum parvenait à ses narines. Il pencha sa tête sur le côté et enfouit son visage dans la douce chevelure mauve qu’il embrassa tendrement, comme pour ne pas réveiller son propriétaire. Saga ouvrit les yeux. La chambre était plongée dans l’obscurité, les rideaux sombres interceptaient encore la lumière du jour. Saga baissa les yeux vers le visage de Mû. Le jeune homme était calé contre lui, enfoui dans un profond sommeil, serein. La main posée sur sa taille remonta lentement le long du dos, caressa la nuque pâle, puis s’enfuit dans la chevelure mauve, alors que le grec déposait deux baisers sur les cercles tracés sur le front du tibétain. Il se dégageait de lui une telle sérénité que Saga ne songea même pas à s’écarter de lui. Il oublia ses peurs, cette crainte de le voir se réveiller avec le regard du chevalier du Bélier. Il ne pensait qu’à lui, qu’à son corps blotti contre le sien, sa respiration calme, son visage androgyne, ses cheveux lilas. Amoureux. Saga était amoureux. Il avait déjà eu des aventures, autrefois. Il avait aimé des jeunes hommes, une nuit, ou deux, ou trois. Il avait vécu des passions aussi courtes qu’intenses. La part d’amour était ressentie par Saga. La part sexuelle était ressentie par l’Autre. Aujourd’hui, c’était différent. Il aimait le jeune homme, cet enfant qu’il avait blessé, brisé avec violence, à qui il avait arraché tous ses repères. Et il l’aimait. Il le désirait. À peine le voyait-il que son cœur battait plus vite, plus fort. Il avait sens cesse l’envie de l’embrasser, de le tenir dans ses bras, comme s’il avait peur qu’il ne s’envole. Dans un sens, il avait raison. Mû allait s’envoler, un jour. Partir, loin de lui. Le vrai Mû allait revenir. Retour des choses… « Saga ? » Le grec sursauta. À peine réveillé, Mû le regardait de ses yeux embués de sommeil. Il lui fit un léger sourire qui disparut sous les lèvres de Saga, chaudes sur les siennes. Mû répondit au baiser tendre et il sentit ses joues rosir quand une langue indiscrète en quémanda l’entrée. Le tibétain ouvrit la bouche et savoura ce baiser à la fois tendre et langoureux. Saga dégustait sa bouche, léchant ses lèvres, caressant sa langue de la sienne, sa main dans ses cheveux, l’autre sur sa taille. Malgré lui, Mû se sentait réagir à cette sensualité, au corps puissant de Saga, ses mains chaudes posées sur son corps et ses lèvres gourmandes. C’était comme s’il lui faisait l’amour en l’embrassant… En manque de souffle, Saga brisa en douceur le baiser. Mû tentait de se reprendre, alors que les lèvres de Saga voyageaient sur son visage. Il se faufila près de son oreille et y glissa quelques mots. Mû ouvrit de grands yeux. « Je t’aime. Même si tu m’oublies, je continuerai de t’aimer. » Mû se sentit bouleversé au plus profond de lui-même. Il attendait ces mots. Il les attendait depuis longtemps, depuis trop longtemps. Quelque chose pleura en lui, des larmes de bonheur qui ruisselèrent sur ses joues. Il se jeta sur le grec et l’embrassa, lui murmurant les mêmes mots. Il l’aimerait. Même s’il l’oubliait… *** « C’est nous !! » Lys entra dans la maison, toute pimpante, apparemment remise de sa fatigue de la veille. Elle embrassa Corinne, Saga et se laissa tomber à côté de Mû avant de lui faire la bise aussi. Kanon et Rhadamanthe arrivèrent à leur tour. « Vous arrivez tôt, il est neuf heures et demie. » Saga s’attendait à les voir arriver vers dix heures, comme son frère le lui avait dit. Corinne était encore en pyjama, attendant qu’Éaque ait fini de prendre sa douche, à l’étage, et c’était tout juste s’ils ne buvaient pas encore leur café matinal. « Bah, on vient prendre notre petit-déjeuner, p’tit frère ! - Ah oui, vu comme ça. - Bonjour tout le monde. » Vision de rêve. Ou de cauchemar, suivant les personnes. Éaque apparut, descendant gracieusement les escaliers, une petite serviette entourant ses hanches, ce qui ne dissimulait que la partie intime, voire même intéressante, de son corps, mais ne cachant rien de son torse sculpté, ses bras et ses jambes d’athlète. Sa peau était encore humide et des gouttes d’eau glissaient de ses cheveux d’ébène, ondulant sur son front et sa nuque. C’est avec une vitesse presque calculée, tellement elle était lente, qu’il passa dans le couloir, s’exposant à la vue de tous, puis se faufila dans sa chambre, un léger sourire sur les lèvres. Un ange passa. « Il est bien foutu. » Et BAM ! Kanon poussa un cri de douleur alors que Rhadamanthe lui donnait un violent coup sur la tête, bouillonnant de rage et de colère. Corinne et Kiki éclatèrent de rire, Lys, ne pouvant se tenir les côtes, se faisait presque pipi dessus tellement elle riait, Mû tentait de cacher son sourire alors que Saga se prenait la tête dans les mains. Kanon prit la fuite dans la cuisine alors que Rhadamanthe le poursuivait, à deux doigts d’exploser, parce que son amant avait eu l’audace, et la débilité, d’oser mater le corps d’un autre homme que lui, et de le qualifier de « bien foutu ». Corinne riait, son compagnon était vraiment un enquiquineur. Lys ne pouvait plus s’arrêter de rire, elle revoyait le regard appréciateur de son adjoint et furieux de son cousin. Quant à Saga, il se demandait pourquoi diable Lys avait « sous-entendu » que Kanon aimait les hommes… Dans la chambre d’amis, Éaque, à demi nu, écoutait Rhadamanthe pester après Kanon qui tentait de se défendre, Éaque n’avait qu’à pas se balader à poil, quelle idée ? Et il fallait avouer qu’il était bien fait, c’était la nature !! Éaque, content de lui, enfila un peignoir et sortit de sa chambre, se joignant à l’hilarité des autres. Kanon tentait à présent maladroitement de se faire pardonner mais Rhadamanthe ne décolérait pas, il jeta d’ailleurs un regard noir à son ancien compagnon d’armes quand il revint dans le salon. Éaque aurait presque cru qu’il allait se jeter sur lui et lui ouvrir le ventre pour lui faire bouffer ses tripes. Voyant que la guerre allait commencer, Saga prit le parti d’attraper Éaque par la peau du cou et le ramener dans sa chambre pour qu’il porte une tenue plus décente. Non pas que cela le dérangeât, à vrai dire ça ne lui faisait ni chaud ni froid de le voir en serviette ou en peignoir, mais Rhadamanthe appréciait moyennement, parce que justement Kanon appréciait un peu trop. Saga le coinça contre un mur, Éaque cacha son sourire moqueur derrière sa main. Un gamin content de sa blague. Sauf que Kanon, sûrement enfermé à double tour dans sa chambre, ne devait pas vraiment l’être. « Bon, écoute Éaque, je t’apprécie beaucoup et tu le sais… - Mais ? - Mais je préférerais que tu évites de te balader à demi nu quand Kanon ET Rhadamanthe sont dans les parages, tu peux me faire ce plaisir ? - C’était trop tentant. - J’imagine, mais j’aimerais garder ma maison en état, si tu vois ce que je veux dire. » Étrangement, le sourire de Saga lui donna la chair de poule. Il préféra ne pas le titiller davantage et il lui promit qu’il se tiendrait tranquille. Saga lui jura que, si jamais il refaisait des siennes, il mettrait son armoire sans dessus dessous. Menace suprême. *** Le combiné collé à l’oreille, Corinne tapa le numéro de téléphone de Ludivine. Elle tomba sur sa messagerie, une fois de plus. C’était vraiment inquiétant, elle ne répondait ni sur son portable, ni sur son fixe. Elle fit non de la tête à Saga qui poussa un soupir déçu. « Tu essayé son portable ou son fixe ? - Son portable. J’essaie l’autre. » Corinne raccrocha et reprit le combiné, tapota le numéro et attendit. Une fois. Deux fois. Trois fois. On décroche. « Oui, allô ? » Elle sursauta. Pas la voix de Ludivine, mais c’était une voix quand même, ce qui n’était pas négligeable… « Heu… Bonjour, je suis Corinne, une amie de Ludivine… Oh, sa maman ? En fait, je… Oui, c’est ça… Par… Pardon ?!! » Saga, Mû et Éaque sursautèrent. Corinne semblait avoir pâli, l’angoisse se lisant sur ses traits. « Mais quand… Je… Je suis vraiment désolée… À quel hôpital, vous dites ? » Les hommes tiquèrent au mot « hôpital ». Corinne griffonna sur un petit calepin posé à côté du téléphone et ne tarda pas à raccrocher. Quelques minutes plus tard, Saga montait au volant de sa voiture, Éaque à sa droite, Corinne, Mû et Kiki à l’arrière. Mettant en commun leurs maigres connaissances en terme d’hôpitaux, Saga et Éaque réussirent à atteindre celui où se trouvait la jeune fille. Ils s’annoncèrent à la réception. La vieille femme qui s’y trouvait leur indiqua l’étage et la manière dont ils pouvaient l’atteindre. Ils faillirent se perdre, mais ils réussirent à atteindre la chambre de la malade. Corinne et Saga eurent comme un coup au cœur en voyant la jeune fille blonde allongée dans ce lit, reliée à un appareil qui pointait le rythme de son cœur de manière régulière, des tuyaux enfoncés dans son nez. Elle était pâle et semblait avoir maigri, plongée dans un profond sommeil, dont elle ne se réveillerait peut-être jamais. Kiki sentit des larmes couler sur ses joues rondes. Mû le prit contre lui, caressant doucement ses cheveux. Saga avait pâli. Il aimait beaucoup la jeune fille et la voir ainsi faisait battre son cœur de douleur. Le tibétain lui attrapa la main. Il éprouvait de la peine pour elle, mais pas autant que Saga qui la connaissait depuis un bon petit bout de temps, maintenant. Tout comme Corinne qui baissa les yeux, chagrinée. Éaque la prit dans ses bras. Un peu plus tard, ils sortirent de la pièce en promettant à la jeune fille endormie qu’ils reviendraient. C’était promis… *** Installée dans son canapé, Lys faisait tourner son téléphone entre ses doigts, hésitant à l’utiliser. Elle ne faisait que reculer sa conversation avec son amant, il lui était impossible de faire le voyage en avion, et elle ne se sentait pas assez courageuse pour le lui annoncer. Elle avait besoin de le voir, autant qu’elle avait besoin de boire ou de respirer. Mais elle ne pouvait pas. Ses enfants, son stress, cette chute dans la salle de bain l’en empêchait. Elle devait lui dire. Elle devait l’appeler, et cesser de retarder cette discussion nécessaire. Mais elle avait peur de sa réaction, de sa colère. Elle l’imaginait mal s’énerver au point d’en massacrer le combiné du téléphone, mais il n’allait certainement pas rester de marbre en apprenant la nouvelle. Soulevant le clapet de son téléphone portable, Lys appuya sur quelques touches, puis porta l’appareil à son oreille. Elle attendit, espérant secrètement qu’il ne réponde pas, mais cette voix tant aimée finit par résonner dans le téléphone. « Allô ? - Chéri ? C’est moi. - Lys ? Tu vas bien ? - Oui, ça va. » À peu près, se dit-elle intérieurement. « On dirait pas. - J’ai besoin de te parler. - Qu’est-ce qu’il y a ? - Je ne pourrai pas venir pour les fêtes de Noël. » Il y eut un blanc. Un silence pesant. Le cœur de la jeune femme battait à la chamade. « Pardon ? - Je ne pourrai pas venir. Je suis désolée. - Mais pourquoi ? » Elle sentait l’inquiétude et la déception dans sa voix. Malgré elle, Lys l’imagina devant son téléphone, le combiné prêt de l’oreille ses yeux brillant de tristesse. Un peu comme un enfant à qui on n’aurait pas tenu une promesse. Sauf que c’était un homme. Un homme sans passé qui avait découvert la vie à travers une femme. Une femme qui allait mettre au monde ses enfants. Ses bébés. Si loin et si proches à la fois… « Les affaires. » Mensonge. Un lourd mensonge qui lui tomba sur les épaules. Ses lèvres brûlaient. Pour la première fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés, elle lui mentait. Mais comme ça, il n’était pas inquiet. Juste… en colère. « Les affaires ? Tu m’avais promis que tu viendrais ! Même si tu avais des choses à faire ! J’ai besoin de te voir, moi ! Nous allons avoir des enfants, toi et moi, et on a aucune vie commune, je ne sais même pas à quoi ressemble ta vie. - C’est compliqué… Tu ne peux pas comprendre. - Ce que je comprends, moi, c’est que tu m’écartes de ta vie ! - C’est faux !! - Non, c’est vrai ! C’est moi qui t’appelle toutes les semaines, c’est moi qui t’attends et qui espère un peu d’attention de ta part, c’est… - Arrête ! - … moi qui vis loin de toi et de nos enfants ! Je l’accepte parce que tu es importante pour moi, mais cette situation me pèse ! - J’ai des obligations, je ne peux pas m’en aller comme ça ! Essaie de comprendre, moi aussi j’aurais voulu que… - Je ne veux plus t’entendre. J’en ai assez de tes excuses. Si tu as honte de moi, dis-le moi franchement. » Il raccrocha. *** La situation était pesante. Vraiment pesante, et sur bien des points. À vrai dire, Kanon ne savait plus vraiment où donner de la tête. En soi, les affaires de Lys étaient gérables, il avait appris beaucoup de choses à ses côtés et il savait de quelle façon elle menait le navire. De plus, il avait de fréquentes discutions avec elle. Rien ne lui était caché. Le grec était fatigué. Assis dans son bureau, il buvait une tasse de café en pensant à sa journée. À tous ces hommes et toutes ces femmes qu’il avait pu voir en l’espace de quelques heures. Des gars qui le considéraient avec du mépris, de l’indifférence, ou au contraire du respect. Il y avait ceux qui étaient certains qu’il était l’amant de la Patronne, d’autres trouvaient qu’il avait une chance de cocu. Évidemment, les quelques femmes qui travaillaient pour Mlle Taylor ne demeuraient pas silencieuses, ou si elles l’étaient, c’était tout simplement par dédain. Certains pensaient aussi que le séduisant M. Galanis avait accédé aussi rapidement à un si haut poste grâce à son charme. Kanon pensait juste que ces bonnes femmes étaient mauvaises langues. Les autres se contentaient, soit de se taire et de le considérer comme un employé normal, soit elles tentaient de le mettre dans leur lit. Ce qui marchait moyennement. Tout en se massant le front, les yeux clos, Kanon se remémora le visage de Rhadamanthe, ses yeux de braise quand ils faisaient l’amour. Et le fait que Rhadamanthe lui ait fait un scandale parce qu’il avait osé mater Éaque lui revint de plein fouet. Il eut une grimace. Il savait Rhadamanthe un minimum possessif, mais pas aussi clairement jaloux. Il se rappelait encore de la taloche qu’il lui avait mise derrière le crâne. Plus vexante que blessante. Depuis, Rhadamanthe ne lui avait plus adressé la parole, même pas au téléphone. Si ce crétin d’Éaque n’avait pas voulu jouer avec les nerfs solides, mais quelque peu susceptibles sur certains points, de son amant, Kanon n’en serait pas là à ruminer dans son coin. D’un autre côté, Lys n’y était pas pour rien là dedans. Saga lui avait fait comprendre qu’elle avait dit clairement qu’il passait sa soirée avec Rhadamanthe, il n’était pas bien difficile d’en conclure que Kanon appréciait la gente masculine. Mais bon, c’était une bourde comme une autre, Lys était plutôt douée pour ça… Son portable sonna. Kanon poussa un soupir et attrapa son téléphone en se demandant mentalement si c’était Saga qui l’appelait parce qu’il avait oublié quelque chose à la maison, si c’était Mû qui se contentait de lui faire passer un message de son frère adoré, ou si c’était Rhadamanthe qui acceptait enfin d’arranger la situation. Sauf que ce n’était pas une voix d’homme qu’il avait à l’autre bout du fil, mais indéniablement féminine. Kanon ne mit pas longtemps à quitter les bureaux, à appeler un taxi et à atteindre l’appartement de sa patronne, qu’il trouva sanglotante sur son canapé. Elle s’accrocha à sa chemise alors qu’il la prenait dans ses bras, se confiant à lui comme elle ne l’avait jamais fait jusque là. *** Ce matin, ils étaient encore passés voir Ludivine. Son état demeurait stable, ce qui était rassurant sans être encourageant. Elle n’était pas morte mais rien ne laissait entrevoir qu’elle puisse se réveiller un jour, et en bonne santé. Cependant, ses amis ne perdaient pas courage, elle finirait bien par se réveiller un jour ou l’autre, ce n’était qu’une question de temps. C’était ce que Saga se disait alors qu’il tenait le volant de sa voiture. Il se devait d’être optimiste. Il en fallait bien un. Kanon n’avait guère confiance dans les hôpitaux, même si son frère s’était fait opérer sans la moindre complication. Kiki, de son côté, avait perdu ses illusions du Sanctuaire : quand un homme était blessé, il finissait toujours pas s’en remettre. Il suffisait de voir comment Seiya s’en était sorti, malgré ses blessures graves, voire même mortelles. Dans la vraie vie, c’était complètement différent : un homme avait plus de chance de mourir quand il était blessé que de guérir. Quant à Mû, il ne savait pas trop quoi en penser. La blonde s’était prise un sacré coup sur la tête, c’était le moins qu’on puisse dire. Il essayait d’être optimiste, mais dans le fond, il était un peu comme Éaque : les médecins étaient des gens très rassurants mais employaient un peu trop d’euphémismes. Ce dernier ne supportait pas les hôpitaux, il n’y était entré que pour accompagner Corinne, qui espérait le rapide rétablissement de son amie. Saga gara sa voiture puis coupa le moteur. Il sortit de sa voiture seul, ayant déposé Corinne et Éaque dans Paris. Ils partaient le soir même et ils voulaient profiter encore un peu de la capitale. Le népalais voulait aussi écarter les idées noires de sa compagne, ses inquiétudes pour son amie malade. La maison était silencieuse. Kiki était parti faire du vélo avec Valentine, son amoureuse attitrée, et Anthony. Ça lui ferait du bien de se dépenser un peu. Saga entra dans le salon, Sayuri lui sauta dessus pour lui faire la fête. Il lui caressa tendrement la tête, puis monta les escaliers, la chienne sur ses talons, pour atteindre sa chambre où se trouvait son patient. Bien au chaud sous la couette, il lisait un roman de Saga, cette fois-ci. À tous les coups, Kiki avait dû escalader les étagères pour le lui donner avant de faire du vélo. Mû lui lança un regard mi-amusé, mi-moqueur alors que Saga levait les yeux au ciel. Il s’avança dans la chambre, s’assit sur le lit et embrassa Mû sur la tempe, puis lui glissa à l’oreille que ce livre était son premier et c’était plutôt gênant qu’il le lise. Mû se contenta de lui sourire d’un air innocent, attendant un baiser qui ne tarda pas à venir se déposer sur ses lèvres. « Tu as les lèvres froides. » Pour toute réponse, le grec l’embrassa au creux du cou, Mû eut un frisson. « Ça fait longtemps que Kiki est parti ? - Une vingtaine de minutes, je pense. - Tu veux te balader ? - Oh non, il fait trop froid. » Saga n’allait pas le contredire mais rester tout le temps enfermé entre quatre murs pouvait être lassant à force. Il fallait croire que le froid avait eu raison du jeune homme, il suffisait qu’on ouvre une fenêtre pour aérer pour que Mû, voire même Kiki quand il était à la maison, se cache sous la couette pour ne pas attraper froid. Saga sentait sa gorge qui le brûlait un peu depuis la veille. Ah, le bonheur des promenades nocturnes avec Sayuri… « Tu sais, hier soir… J’ai encore rêvé. - Encore ? - Oui… J’ai vu un homme… Milo, je crois. » Ce nom fut comme une gifle. À chaque fois que Mû prononçait ces prénoms, c’était comme un coup qui lui était porté directement. Paradoxalement, le fait que le jeune homme les voit dans ses rêves signifiait qu’ils étaient en vie, et qu’ils allaient plus ou moins bien, ce qui était rassurant. Même s’il n’en montrait rien, Mû savait que ces souvenirs inquiétaient Saga, et cela ne le rassurait pas vraiment en dépit de son envie de retrouver la mémoire. Mais le jeune homme devait en parler et il savait que Saga l’écouterait toujours, même si ça lui faisait un peu mal. « Qu’est-ce que tu as vu, au juste ? - Hm… C’était… Je pense que c’était dans un cimetière. Oui, ça doit être ça. Il y avait plein de monde devant une grande pierre de marbre. Ils étaient tous en noirs et certains pleuraient. - Milo pleurait ? - Non. Il n’était pas triste, ni même en colère. Je ne sais pas… comme si ça lui était indifférent. C’était qui ? - Un ami, aussi. Vous étiez proches quand vous étiez enfants. Et puis après… vos chemins se sont séparés. - D’accord… » Il y eut un silence. Dans son esprit, Saga s’imagina un grand rectangle de gravier où étaient disposées des pierres tombales, allongées sur des rangées et décorées de fleurs. Milo devant une de ces pierres de marbre, silencieux et attendant que ce moment finisse. Où était-il ? En Grèce ? « Saga… Vous ne pouvez pas essayer de les chercher ? - C’est assez compliqué, tu sais. Mais on va commencer à faire certaines recherches. - Quand ? - Quand Lys aura accouché. Kanon voulait lui en parler, mais il faudrait lui parler de pas mal de choses et ce serait une fatigue en plus pour elle. Tu la connais, elle va s’investir si on s’y met. Quand elle aura mis ses enfants au monde, on va entamer des recherches pour retrouver les autres. » Mû eut un sourire rassuré. Dans le fond, il se doutait qu’il n’avait pas trop de soucis à se faire pour Milo. Allez savoir pourquoi… Mais pour d’autres, une aide était nécessaire. Comme Shaka, par exemple. Mais peut-être n’était-il pas le seul… *** Le téléphone sonna. Une fois. Puis deux. Puis trois. « Bip… Bip… Bip… Bonjour, vous êtes bien chez Saga et Kanon Galanis, nous sommes absents pour le moment, veuillez laisser un message après le bip sonore. » « Saga, c’est moi ! Bon, j’imagine que tu dois être en train de préparer à manger pour la colonie de vacances. C’était juste pour te dire que je ne serai pas là ce soir… » « Tu sais ce qu’elle te dit, la colonie de vacances ? - Bonjour à toi aussi, Éaque. Comment vas-tu ? - Très bien. Donc, tu ne seras pas là ce soir ? - Malheureusement non, je ne pourrais pas te rouler un patin devant le train. - Oh, quel dommage. » Éaque pouffa alors que Saga lui demandait, de la cuisine, pourquoi son jumeau ne serait pas là ce soir. Il voulait être sûr, ça ferait une bouche en moins à nourrir. « Pourquoi tu n’es pas là, ce soir ? - Disons que mon adorable patronne a un petit problème et je ne peux pas la laisser toute seule. Je ne suis pas un sans-cœur, moi. - Évidemment. C’est pas une excuse bidon pour voir Rhadamanthe, au moins ? - À cause d’une personne, dont je ne citerai pas le nom, ce charmant jeune homme refuse de m’adresser la parole. - Ah, désolé. - Pourquoi tu te sens concerné ? - Oh pour rien. Bah, il va bien se réconcilier avec toi, déguise-toi en infirmière et ça passera tout seul. - Désolé, j’ai pas ça dans mes placards. Tu peux me dépanner ? » Éaque éclata de rire. Dans l’autre pièce, on levait les yeux au ciel tout en souriant d’amusement. Éaque finit par raccrocher et revint dans la cuisine. La « colonie de vacances », comme le disait Kanon, était en train de cuisiner. Corinne et Mû étaient en train de s’occuper des patates alors que Saga était à deux doigts de se trancher le doigts avec son couteau, alors qu’il coupait les extrémités des haricots verts. Enfin, c’était ce que Mû et Corinne se disaient, il allait un peu trop vite, il finirait bien par avoir un bandage. Ce qui ne loupa pas, évidemment. Le train du couple passait vers vingt heures. C’était assez tard, mais ils avaient encore un jour de repos, le lundi, afin de récupérer. Ils mangeaient donc un peu plus tôt et tout le monde mettait la main à la pâte, sauf Kiki. Saga avait découvert avec horreur que tous ses devoirs n’étaient pas faits, et notamment ceux de chinois et de français, alors il avait mis l’enfant dans le salon pour qu’il rattrape son retard. « Alors ? - Lys n’est pas bien, il reste avec elle ce soir. - C’est peut-être à cause de son amant. - Tu as peut-être raison, Mû. » Elle doit lui avoir dit qu’elle ne pourrait pas faire le voyage et ça s’est mal passé, songea Saga, à juste titre, tout en suçotant son doigt coupé. Éaque vit d’un mauvais œil son propre couteau qui servait à couper les haricots verts, mais sous le regard appuyé de sa compagne, il le reprit en main mais coupa avec précaution. Saga se leva et partit dans le salon pour voir comment s’en sortait l’enfant, qui avait balancé son livre de chinois à l’autre bout de la pièce. À se demander comment il pouvait encore être vivant, le pauvre bouquin… Pas sa faute s’il était rempli de signes compliqués… « Kiki, va me ramasser ce livre. » De mauvaise grâce, l’enfant se leva pour récupérer son bouquin qui sembla trembler dans ses mains douces mais peu délicates. Saga lui dit qu’il ne mangeait pas tant que ses exercices ne seraient pas terminés, ce qui énerva l’enfant mais il ne put qu’abdiquer. Quand le grec revint dans la cuisine, il avait toujours son doigt dans la bouche. Corinne lui dit que ce serait bien qu’il se mette un pansement, Saga trouva que ce n’était pas une si mauvaise idée que ça. *** Il était l’heure de partir. Les valises étaient calées dans le coffre de la voiture, Éaque, Corinne et Saga mettaient leurs chaussures. Le couple remercia le grec de les emmener jusqu’à la gare, il leur répondit que c’était normal, il les voyait mal prendre les transports en commun à cette heure-ci. Et même s’il avait dû les emmener tôt le matin, il l’aurait fait. À la limite, il y avait toujours le taxi, mais bon, il était là, alors autant en profiter. Corinne et Éaque étaient satisfaits de leur week-end à Paris. Ils avaient pu se balader dans la capitale, faire un peu les magasins, et ils ne s’étaient pas ennuyés chez leur hôte. La jeune femme embrassa Mû, puis Kiki, Éaque leur serra la main avec chaleur. Il émit quelques regrets de n’avoir pas pu voir Kanon et Rhadamanthe avant de partir, Corinne lui donna une petite claque discrète derrière le crâne alors que Saga préférait ne pas imaginer la scène. Enfin, Rhadamanthe aurait été plutôt content. Kanon aussi, d’ailleurs, d’une certaine façon, même s’il aimait bien éaque. « Tu veux que je te monte à l’étage ? - Non, je t’attends. » Mû lui sourit et le regarda partir vers le garage, leurs deux invités à sa suite. Ç’allait faire du vide, à la maison, et Saga n’aurait plus vraiment d’excuse pour dormir avec lui. Dommage, pensa-t-il. Il aimait dormir avec lui, c’était plutôt agréable. Et puis Corinne était vraiment gentille, agréable de conversation et ils avaient bien ri tous les deux. Éaque était différent, un peu plus… taquin. Et assez combatif. Inutile d’espérer qu’il lâche l’affaire quand Mû lui lançait une légère pique, tous deux étaient parfois incapables de s’arrêter avant que Corinne ou Saga n’intervienne. Et à ce moment-là, ils éclataient de rire. Quelques secondes plus tard, Mû entendit la voiture vrombir dans le garage, puis s’en aller. Kiki embrassa Mû sur la joue puis partit à l’étage pour jouer à la playstation. Le volume élevé du jeu ne tarda pas à briser le silence de la maison. La télévision était certes allumée, mais Mû l’écoutait à peine, les yeux posés sur son livre, mais l’esprit dans le vague. Il pensait à Saga, mais aussi à sa situation. Encore aujourd’hui, il savait que le grec avait reçu un appel de la police, le concernant. Mû était toujours amnésique, ils pouvaient venir le vérifier si ça pouvait leur faire plaisir. Saga avait parlé calmement, mais tout dans ses mots laissait entendre sa colère. L’enquête avançait à peine alors la police tentait d’arracher des témoignages du survivant, dont la mémoire n’était pour le moment pas encore revenue. Saga n’en parlait jamais, mais Mû savait que ces appels l’énervaient au plus haut point. Ils avaient lieu quasiment tous les deux jours et Saga répétait inlassablement les mêmes réponses. Mû avait cru comprendre qu’on devait leur envoyer un médecin, pour voir s’il ne se rappelait vraiment plus de rien. Saga leur avait répondu qu’il pouvait venir quand il le souhaitait, il n’avait absolument rien à cacher. Étrangement, personne ne s’était présenté. Les minutes passèrent, inlassables. Mû se sentait seul, dans ce canapé froid, devant la télévision, à l’intérieur de cette maison qui lui paraissait immense. Saga l’avait toujours entouré de son attention, de ses bras, s’efforçant de lui rendre la vie plus facile malgré sa maigre mobilité et sa lassitude. Et là, seul dans la maison, il se demandait ce qu’il aurait bien pu devenir si les jumeaux ne l’avaient pas accueilli chez eux pour prendre soin de lui. Mû poussa un soupir. Il avait soif. Il regarda autour de lui et vit son siège posé juste à côté du canapé. Une fois de plus, Saga avait été prévoyant. Le tibétain détestait ce siège, preuve matérielle de son incapacité à se déplacer seul. Ou même à se déplacer tout simplement. Refusant tout net d’appeler Kiki pour l’aider, il était assez grand pour se débrouiller tout seul, Mû attrapa son siège et réussi à monter dedans. Il le fit rouler jusque dans la cuisine. Et là, il constata que Saga n’était pas aussi prévenant que ça, il n’avait pas laissé de verre dans l’évier. Enfin, disons plutôt qu’il était maniaque, nuance. Mû prit une bouteille d’eau dans le réfrigérateur et regarda les armoires. Il devait se lever pour prendre son verre. Un parcours du combattant. Mû inspira. Il posa ses mains sur les meubles de la cuisine et, avec la force de ses bras, tenta de se lever. Au prix de trois tentatives, il réussit à se redresser. Au moindre pas, il savait qu’il s’effondrerait. Mais, au moins, il était debout. Pour la première fois, depuis environ deux mois. Ça lui fit bizarre. Ses jambes tremblaient douloureusement. Mû se dépêcha d’attraper un verre dans le placard, et il se souvint qu’il avait posé la bouteille sur la table de la cuisine. Il se retourna. Et fit quelques pas jusqu’à la table. Le verre à la main, il regarda la bouteille, l’esprit dans le vague. Ses jambes lui faisaient mal. Il allait tomber, s’il ne s’asseyait pas rapidement… « Mû !! Une araignée !! » Le jeune homme sursauta et tomba en arrière. Le siège était à côté et il s’écroula sur le sol, sa tête cogna violement le meuble. Il s’évanouit. *** Saga regardait le train partir. Un léger sentiment nostalgique s’empara de son être, alors qu’il imaginait Corinne et Éaque assis dans leur compartiment, l’un à côté de l’autre. Ces deux-là allaient lui manquer, il les appréciaient beaucoup et ce week-end passé avec eux avait été agréable, en dépit des disputes, ou plutôt des chamailleries. Il était certain qu’ils reviendraient et il était prêt à les accueillir les bras ouverts. C’est donc seul qu’il revint vers sa voiture, garée sur un parking. Il entra dans le froid véhicule et démarra. Il rentra tranquillement chez lui, sans se presser, en espérant éviter les bouchons. Le chemin fut long, Saga fit plusieurs détours, mais il évita les embouteillages et put arriver chez lui sans l’énervement caractéristique du « sur-place ». À peine rentra-t-il chez lui que Kiki lui sauta dessus comme la misère sur le monde, suivi de Sayuri. Paniqué, l’enfant tentait de lui expliquer la situation, mais il s’embrouillait et des larmes coulaient sur ses joues rondes. Saga sentit l’angoisse l’envahir comme un puissant poison et il hurla presque à l’enfant de se calmer. Kiki tira son tuteur vers la cuisine. Le grec eut un instant de surprise en voyant Mû étalé sur le sol, sa tête et le haut de son corps appuyé contre un meuble. Tout indiquait que le jeune homme avait été assommé, sûrement par sa chute en arrière. Il avait dû se lever et, pour il ne savait quelle raison, il était tombé. Alors qu’il se baissait, inquiet, pour examiner le jeune homme, Kiki baragouinait derrière lui qu’il avait crié son prénom parce qu’il avait vu une araignée énorme, et il avait peur des araignées. Saga palpa l’arrière de la tête du tibétain et sentit une grosse bosse. En poussant un soupir et, quelque peu soulagé, le grec prit son amant dans ses bras et ordonna à Kiki de prendre de la glace, la mettre dans un torchon et de la lui apporter dans la chambre. L’enfant s’exécuta alors que Saga portait Mû, évanoui, jusque dans son lit où il le coucha. Mû semblait serein, on aurait dit qu’il dormait tranquillement, mais Saga sentait une étrange menace planer au-dessus de lui. Il secoua la tête en se disant qu’il se faisait des idées, Mû avait soif, il était allé se servir à boire, et il était tombé. Pas à cause de Kiki, c’était un accident, et il le fit savoir à l’enfant quand il vint avec le torchon rempli de glaçons. Il l’embrassa sur le front en lui affirmant que ce n’était pas grave, et Kiki partit dans sa chambre avec un dernier sourire triste. Saga resta un long moment dans la chambre, appliquant les glaçons sur la bosse conséquente qui se formait derrière le crâne du jeune homme, espérant qu’il se réveille rapidement. Il préférait le voir éveillé qu’assommé, il serait plus rassuré, et Saga ne pouvait s’endormir sans l’avoir vu éveillé. Au bout d’un moment, Kiki entra dans la chambre. Lui non plus ne pouvait pas dormir tant que Mû ne se serait pas réveillé. Il s’installa donc près de Saga, sur le grand lit, attendit que son maître se réveille. Il ne songea pas qu’il avait école le lendemain, que la vie reprendrait son cours tranquillement et qu’il risquait d’être très fatigué. Soudain, Mû fronça les sourcils. Ses paupières papillonnèrent doucement, comme s’il émergeait d’un lourd sommeil, et un sourire soulagé apparut sur les lèvres de Saga. Un sourire qui se figea. Mû avait les yeux ouverts. Grands ouverts. Avec un regard étrange. Étrange… naturel… C’était comme si une voix murmurait à l’oreille du grec. Une voix lente et rauque, une voix d’outre-tombe qu’il avait tant entendue pendant des années. « Saga ? » Il est revenu… *** Chapitre suivant ici. ;) Si vous souhaitez laisser un commentaire, c'est ici :
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