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''Souviens-toi'' by Ludi
Chapitre 2
(suite)
Le temps commençait sérieusement à se rafraîchir. Originaire de Grèce, et malgré le temps qu’il avait passé dans le froid sanctuaire sous-marin de Poséidon, Kanon demeurait un peu frileux, et on ne pouvait pas dire qu’il était très à l’aise dehors, avec les neuf degrés ambiants. Près de lui, Lys n’en menait pas large, frigorifiée malgré l’épais manteau qui recouvrait son corps des épaules aux genoux.
Ils attendaient le taxi, qui mettait vraiment du temps à arriver. La jeune femme et son adjoint n’avaient pas de rendez-vous important, ils en sortaient, mais la patronne voulait arriver au plus vite chez elle afin d’accueillir son père qui avait tendance à arriver toujours quand on l’attendait le moins. Elle ne lui avait pas encore annoncé la nouvelle, en ce qui concernait ses jumeaux, et son frère aîné Henri n’avait pas non plus été mis au courant, Lys n’avait pas eu le courage de l’appeler.
D’un geste impatient, la blonde plongea sa main dans sa poche, mais n’y trouva aucun paquet de cigarette, ce qui la fit ruminer, sous l’œil sarcastique de son adjoint qui retirait lui-même les paquets qui glissaient dans les poches de sa patronne. Non pas qu’elle avait vraiment envie de fumer, mais des paquets demeuraient dans son appartement, elle les prenait mécaniquement sans pour autant les ouvrir. De plus, étrangement, des paquets se retrouvaient dans ses poches quand elle rendait visite à ses frères René Charles ou Jean.
Le taxi parisien arriva. Lys rentra dans la voiture en pestant, suivie de Kanon. Elle indiqua d’une voix sèche la destination et le chauffeur asiatique partit en trombe. Intérieurement, le grec pria pour qu’il n’y ait pas d’altercation dans le véhicule, Lys était irritable, ces derniers temps. Enfin, plus que d’habitude, et elle avait horreur des retards. Surtout depuis que son ventre s’arrondissait et que les températures baissaient. D’un autre côté, Kanon se dit que ça lui permettrait de vider un peu son sac, ce qui ne lui ferait pas de mal.
C’est une bonne vingtaine de minutes plus tard que la blonde put sortir de la voiture, fonçant vers son immeuble sans attendre son adjoint qui payait la course. Il la rejoignit dans le hall d’entrée où il faisait bien plus chaud qu’à l’extérieur. Ils prirent l’ascenseur, et montèrent jusqu’au second étage. Lys parcourut d’un pas rapide le couloir, faisant claquer ses talons sur le parterre si propre qu’on pouvait y voir son reflet. Elle inséra sa clé dans la serrure et entra dans son appartement.
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, son logement était loin d’être une réplique des grandes chambres d’hôtels de luxe dont le mobilier coûtait les yeux de la tête. Non, il était aménagé avec goût mais avec, somme toute, beaucoup de simplicité. Pourtant, Kanon était déjà rentré dans l’immense pavillon de ses parents, où elle avait été élevée avec ses frères et sœurs, et il avait été stupéfait par tant de luxe inutile dont les bourgeois savaient se vanter. Cela lui passait au dessus de la tête, et il fallait croire que sa patronne en pensait de même, car peu de peintures étaient accrochées aux murs, aucune sculpture n’était entreposée dans le salon, et ses meubles, bien que très beaux, n’avaient rien de luxueux.
Ses parents lui avaient d’ailleurs souvent fait la remarque que son logement était trop « commun », trop « impersonnel », alors qu’au contraire, son adjoint le trouvait plutôt confortable et tout à fait à l’image de son employeur, qui n’était pas du genre à s’embarrasser de choses inutiles et d’un esthétisme relatif. Sans doute était-ce dû à sa pauvre condition étant jeune, mais le Gémeau était bien plus à l’aise dans ce salon aux teintes beiges que dans l’immense séjour lumineux des Taylor.
Après avoir retiré ses chaussures cirées, Kanon ôta son manteau et partit dans la cuisine où Lys préparait déjà du café, portant toujours ses chaussures à talons qui devaient lui faire mal aux pieds. C’était limite si le grec ne la jeta pas dehors pour qu’elle se débarrasse de tout son attirail et qu’elle se mette à l’aise. Elle était chez elle, quand même !
« À quelle heure ton père doit passer ?
- Va savoir ! Avec lui, c’est telle heure, mais il vient deux heures avant où dix heures plus tard !
- Et il insiste toujours pour qu’on soit à l’heure.
- Exactement ! Kanon, j’ai mal aux pieeeeeds !
- Arrête de mettre des talons, ça ira beaucoup mieux.
- Je vais pas me ramener en baskets quand même !
- Non, ça le ferait pas trop avec ton tailleur. »
Elle était revenue dans la cuisine, ils échangèrent un regard complice. La future mère s’assit devant la table, alors que son adjoint sortait deux tasses, l’une bleue pour la blonde, une autre verte pour lui. Une habitude qu’ils avaient prise. Lys se demandait encore aujourd’hui comment elle avait réussi à faire autant confiance à quelqu’un, à être aussi complice avec un homme. Elle appréciait beaucoup le grec, malgré le mystère qui persistait sur son passé. Mais il lui était précieux, et s’il devait s’en aller, un jour, elle ne savait pas si elle pourrait continuer à mener les affaires de son père.
C’était dur quand on était seul. Vraiment seul. On ne pouvait pas dire qu’elle avait le soutien de sa famille, si on exceptait bien sûr son père et son jeune frère Aaron, toujours de son côté quoi qu’elle fasse. Ses amis se comptaient sur les doigts d’une main, Kanon et Saga étaient les seuls en compte. Oh, bien sûr, elle avait quelques affinités avec certains hommes d’affaires, comme Médicis, qui derrière ses airs de mafieux était une personne fort sympathique. Ce qui était agréable avec lui, c’était qu’il était très franc. Tellement franc…
Voir une femme dans le milieu si fermé des affaires l’avait tellement étonné qu’il avait essayé de la mettre dans son lit, comme pour la tester, mais la blonde avait de suite mis les choses au clair, ce qui avait énormément plu à ce bel italien. La jeune femme était montée de plusieurs degrés dans son estime, au point qu’une certaine confiance s’était installée entre eux. Un jeune homme très intéressant et prometteur, cet Angelo, qui portait fort bien son nom, se dit Lys avec un sourire amusé.
« À quoi tu penses ?
- À Médicis.
- T’as eu des nouvelles de lui ?
- Oh non, pas encore. Il est d’une sale humeur en ce moment, je te jure ! Il faut le caser, ce gars-là.
- Vu son caractère, tu auras du mal à lui trouver quelqu’un.
- C’est drôle, quand même, vous vous êtes jamais vu, et pourtant…
- J’ai connu un type comme lui, autrefois. Enfin, connu… on ne s’est pas vraiment côtoyés, mais je connais le genre.
- Si tu le dis. Bah, avec un peu de chance, il se trouvera quelqu’un tout seul.
- Tu crois vraiment qu’une femme pourra le supporter ?
- Qui sait ? Je suis sûre qu’il est gay.
- Raconte pas n’importe quoi.
- Tu paries ? Il est bi, je le sais. Mais je suis sûre qu’il est plus sûr les hommes. Tu verras ! »
Kanon poussa un soupir faussement exaspéré, alors qu’on sonnait à la porte d’entrée. Lys regarda sa montre, bougonna qu’il venait avec deux heures d’avance pour changer, et partit dans l’entrée, Kanon sur ses talons. Le grec la devança et ouvrit la porte blindée, laissant entrer M. Taylor.
C’était un homme de grande stature qui, malgré son âge avancé, demeurait imposant et très digne dans son costume gris cousu sur mesure. Ses cheveux poivre et sel étaient coiffés en arrière sur sa tête, encore très touffus pour cet homme dont les rides devenaient de plus en plus visibles au fil des ans. Sa figure reflétait son caractère très strict, sévère, autoritaire, le visage d’un chef de famille, d’un important homme d’affaires qui a fait une bonne carrière. Ses yeux bleus, sa fille en avait hérité, tout comme son regard glacial, indifférent, ou furieux. C’était également de son père que Lys tenait son talent pour les affaires, bien qu’elles ne fassent que fructifier depuis qu’elle avait pris la place de son père.
En somme, c’était un homme qui inspirait le respect et le silence. Sévère, il avait eu du mal à accepter Kanon Galanis, ce blanc-bec que sa fille avait dégoté en Grèce pour lui confier une tâche tellement importante qu’il avait été au bord de l’infarctus en apprenant la nouvelle. Il avait bien cru qu’il s’agissait de l’amant de Lys, mais il avait vite rayé cette possibilité, le jeune homme ne semblait nullement intéressé par la beauté de la jeune femme, ni par son argent, ce qui avait beaucoup étonné l’homme d’affaires, qui voyait l’avenir de sa fille en péril si elle s’entichait de cet inconnu sorti de nulle part, dont on ne connaissait rien et qui, étrangement, était un excellent outil de travail. Le genre d’homme dont il était préférable de ne pas se séparer, au risque que les autres se l’accaparent.
Mais le grec était quelqu’un d’incroyablement fidèle, car malgré les propositions qui lui avaient été faites par divers hommes d’affaires, chefs d’entreprises ou autres, son refus avait sonné de manière désagréable aux oreilles de ses prétendants. Jamais Lys n’avait douté de lui, certaine qu’il n’irait pas voir quelqu’un d’autre pour un peu plus d’argent. Il vivait très bien comme il était, Kanon n’avait pas besoin de plus, et malgré leurs sautes d’humeur, travailler avec la jeune femme était un plaisir dont il avait craint un temps d’être privé.
M. Taylor serra rapidement la main de l’adjoint de sa fille, puis embrassa celle-ci sur la joue, de manière toute aussi brève. Jamais il ne montrait de signe d’affection, c’était très rare quand il serrait sa fille dans ses bras. Et, au vue de la situation, il lui faudrait bien attendre des mois, voire des années avant d’avoir une étreint paternelle. Enfin…
Kanon partit dans la cuisine chercher les tasses de café et la cafetière, alors que Lys menait son géniteur vers le salon. Une fois encore, il jeta un regard critique à cette pièce où on allait et venait à sa guise, indigne de quelqu’un aussi riche que Lys. Si cela avait été de l’avarice, il aurait pu y remédier et tout acheter lui-même, mais c’était sa répugnance pour le luxe qui amenait sa gamine à mettre à la poubelle toutes les belles choses qu’il pourrait amener. Le grec revint avec un plateau et s’assit sur un fauteuil, en face de M. Taylor, alors que Lys prenait place dans le canapé. Le vieil homme regarda le corps déformé de sa fierté personnelle, ce ventre rond qui allait prendre encore de l’ampleur.
« Alors, tu allé faire ton échographie hier ?
- Oui.
- Pourquoi tu n’as pas appelé ?
- Pas le temps. »
La blonde attrapa sa tasse de café et un macaron posé sur une assiette, tout juste acheté dans la boulangerie du coin.
« Et alors ? »
Son père s’impatientait, le verdict allait tomber.
« Garçons.
- Parfait.
- Garçons, avec un « s ».
- Pardon ?
- J’attends des jumeaux. »
Bombe larguée, se dit Kanon. Elle explosa littéralement sur la tête du chef de famille dont la colère envahit les prunelles sombres. L’adjoint mit sa main devant sa bouche pour cacher son sourire, et accessoirement son éclat de rire.
« Comment ?!
- J’attends des jumeaux. Un macaron ??
- Lys, la subtilité, tu connais ?
- Nan.
- C’est impossible !!
- Tant pis pour toi. Je les avais pris exprès, tu aimes le chocolat.
- Tu attends deux enfants ?!
- Tu aurais préféré des triplés ? Père, je t’en prie, assieds-toi.
- Mon Dieu…
- Maman a bien eu sept enfants, elle !
- Mais pas en même temps !
- Heureusement. »
Lys eut une image mentale de sa mère attendant sept enfants et elle faillit en recracher son café. Kanon se pinça la lèvre, ne surtout pas pouffer, le patron était aussi rouge que la lave d’un volcan en éruption. Et ce n’était généralement pas très bon signe.
« Non content de mettre ma fille enceinte, il faut que ce soient des jumeaux !
- Ah ! Tu vois, Kanon ! J’étais sûre qu’il dirait ça ! »
Le grec ne tint plus, il éclata de rire, ce qui ne fit que renforcer la colère noire de M. Taylor, qui ne voyait pas ce que la situation avait de risible. Sa fille attendait deux enfants, dans quel état serait-elle après avoir accouché ! Comme si elle avait entendu ses pensées, Lys répliqua.
« Tu sais, si ça te gêne tant que ça, je ferai une petite séance de chirurgie esthétique pour regagner ma taille de guêpe.
- Lys, te rends-tu compte de la situation ?
- Je suis certainement la mieux placée pour ça ! C’est pas toi qui vas les mettre au monde, ces deux bébés !
- Je…
- Écoute, Père, c’est gentil de t’inquiéter, mais au point où j’en suis, je ne peux pas avorter, encore moins me débarrasser d’un des bébés. Alors, tu auras beau crier, hurler, même pleurer, ça ne changera absolument rien à la situation. Et puis je suis contente, moi, deux enfants pour le prix d’un, c’est cool ! »
Aussitôt, son père répliqua. Il n’était pas du tout, mais alors pas du tout enchanté à l’idée de voir sa fille grosse comme une vache à cause de deux marmots nageant gaiement dans son ventre. Bien sûr, il ne dit pas cela en ces termes. S’il avait eu le père entre les mains, il l’aurait étranglé sans faire d’histoire. Car cette double grossesse signifiait qu’elle devrait arrêter le travail encore plus tôt et le reprendrait encore plus tard, ce qui lui était intolérable. S’il s’était agi d’une autre de ses filles, il n’aurait pas fait de scandale, mais là, c’était de son héritière qu’il était question, de celle qui tenait les affaires, presque le chef de famille.
Lys et Kanon préférèrent ne pas parler du remplacement, car, bien sûr, ce serait le grec qui agirait à la place de la jeune femme lors des divers rendez-vous ou dîners. Bien que l’employé soit relativement bien accepté, il allait prendre la place momentanément de sa patronne, et ça, c’était une autre histoire.
Finalement, Kanon réussit à calmer M. Taylor, sans l’aide de Lys qui, ennuyée, s’empiffrait de pâtisseries sous le regard furibond de son paternel. Elle en avait assez. Qu’est-ce qu’il voulait ? Qu’elle avorte ? Plutôt crever. Mais ce n’était pas avec cette réaction qu’elle pourrait faire asseoir tranquillement son père dans le fauteuil pour qu’il puisse boire sereinement son café et manger quelque chose. Le grec se demandait sérieusement comment ce serait quand elle aurait accouché, ou quand elle présenterait à sa famille son amant.
Ç’allait être du joli.
***
« Alors, cette confrontation ?
- Atroce. »
Saga éclata de rire. Kanon se laissa tomber sur une chaise devant la table de la salle à manger, alors que son jumeau, riant toujours, posait une assiette tout juste réchauffée devant lui. Kanon attrapa sa fourchette et mangea une pomme de terre, Saga s’assit devant lui, amusé.
En détail, l’employé des Taylor lui raconta ce qu’il s’était passé dans l’appartement de sa patronne, sa subtilité naturelle quand elle avait annoncé la nouvelle et la réaction si peu étonnante de son géniteur. Saga était plus qu’amusé, c’était tout à fait le genre de la femme d’affaires. Elle ne passait pas par quatre chemins, en tout cas. Kanon aurait préféré que ce soit le cas.
Il était resté plus tard que prévu chez la blonde, qui ne savait comment se débarrasser poliment de son père, bien décidé à rester dans son appartement jusqu’à savoir le nom de cette homme qui avait engrossé son héritière, mais c’était peine perdue, et Kanon le lui fit bien comprendre. Même lui ne savait pas de qui il s’agissait, et ils le sauraient bien un jour, de toute façon. Cette réponse ne plaisait guère au vieil homme, qui finit bien par quitter le logement pour aller pester chez lui bien tranquillement dans son fauteuil rembourré à repose-pieds. Après avoir fini les gâteaux avec la blonde passablement énervée, il avait pu quitter l’appartement à son tour, en rêvant de son fauteuil rembourré sans repose-pieds.
« Et toi, ta visite à l’hôpital ? »
À ces mots, Kanon vit le visage de son frère s’assombrir, alors que des images du jeune homme si pâle et dénué d’émotions lui revenaient à l’esprit. Il regretta d’avoir posé cette question, et il allait lui dire d’oublier ces mots, quand son jumeau lui répondit, décrivant le Bélier enfermé dans son mutisme. Il n’avait pas réagi à son nom, à sa main qui prenait la sienne ou caressait ses cheveux. Il était telle une statue qu’on contemple et touche du bout des doigts.
Saga était également allé voir le directeur de l’hôpital, et tout un tas de gens, pour se renseigner sur les mesures à prendre pour Mû, ce qu’il fallait faire pour le soigner, et comment évoluerait son état. Malheureusement, les médecins n’en avaient aucune idée, si on exceptait la pensée qu’il demeurerait ainsi jusqu’à la fin de ces jours, ce qui était une idée insupportable pour le Gémeau.
Il avoua à son frère que la vue du jeune homme lui était déjà difficile, mais il finirait bien par la supporter. Kanon se demanda si son frère n’allait pas devenir fou. Mais il écarta cette triste hypothèse en positivant, peut-être que Mû s’en remettrait. Ce serait un miracle, et il était bien placé pour savoir qu’avec de la volonté, les miracles pouvaient exister.
« Kiki dort ?
- Non, il joue à la playstation.
- Les bons cadeaux à la Lys.
- Je ne te le fais pas dire. »
Un semblant de sourire revint sur le visage du grec, qui imagina sans mal l’enfant s’exciter sur sa manette noire, les yeux rivés sur l’écran de télévision. Il sursauta légèrement quand Kanon lui prit la main, plongeant son regard dans le sien, un sourire en coin sur les lèvres.
« T’inquiète pas. Tout va bien se passer. On va le guérir, ton Bélier. »
***
La voix douce de Mylène Farmer s’élevait dans le véhicule, la conductrice secouait doucement la tête au rythme de la musique. Cependant, elle demeurait concentrée, regardant droit devant elle. Malgré les années, elle avait toujours aussi peur d’avoir un accident, car si quelqu’un passait sous les roues de sa voiture, jamais elle ne pourrait se le pardonner. À vrai dire, c’était sa plus grande trouille, elle n’avait même pas peur pour elle-même.
Pourtant, en roulant dans les petites rues, elle se laissait aller à contempler tous ces pavillons qui lui faisaient envie. La jeune femme avait toujours rêvé d’habiter dans une maison, mais elle n’en voyait pas vraiment l’utilité, puisqu’elle vivait seule avec sa chienne, et de toute manière, elle n’en avait pas les moyens. Son appartement lui suffisait.
Elle arriva enfin à destination. Par une manœuvre rapide, elle se gara sur le trottoir, puis retira la clé de contact, éteignit la radio et sortit du véhicule qu’elle verrouilla. Son doigt appuya sur la sonnette, et la jeune fille attendit patiemment qu’on lui ouvre. Cela ne dura pas longtemps, car quelques secondes après, Saga sortit du pavillon et adressa un sourire à sa visiteuse qui lui fit un grand geste de la main, au cas où il ne l’aurait pas vue.
« Salut Saga !!
- Bonjour, toi. Ça faisait un moment que tu n’étais pas venue.
- Je t’ai manquée ? »
Après lui avoir ouvert la porte, le grec se baissa un peu pour faire la bise à cette fille bien plus jeune que lui.
« C’est surtout à Kiki que tu as manqué.
- Il est adorable, ce gosse ! T’as des gâteaux ??
- Ludivine…
- Pas grave, j’en ai amené ! »
Elle lui montra, victorieuse, une boite qu’elle cachait derrière son dos. Le grec l’invita à la suivre, la faisant entrer dans le pavillon. Ludivine, blanche de peau et aux cheveux blonds naturellement, était un jeune écrivain qu’il avait connu quand il faisait publier son premier livre. À vrai dire, c’était elle qui l’avait guidé lors de sa publication, ils s’étaient rencontrés sur Internet alors qu’il cherchait comment faire éditer son livre sans se faire arnaquer.
C’était une personne agréable et bavarde, et ils s’étaient tout de suite très bien entendu, bien que le thème de leurs livres et leur style d’écriture soient complètement différents. La blonde était très descriptive et aimait les romans dans les mondes fantastiques, et, au contraire, les livres un peu plus sombres, au contraire de Saga, plus lumineux dans ses histoires avec une part de réflexion. On dénichait souvent des leçons de morale dans les pages tapées que Ludivine dévoraient avec plaisir.
En dehors de son éditeur, Ludivine était certainement l’une des seules personnes qu’il fréquentait par l’intermédiaire de l’écriture. Certes, grâce à elle, il avait une correspondante avec qui il discutait beaucoup par mails, mais c’était tout. Saga n’aimait pas vraiment inviter les gens chez lui, Lys et Ludivine étaient des exceptions à la règle.
La blonde, en entrant dans le salon, fut très étonnée de voir que le café était fait. Elle regarda l’heure, non, elle ne rêvait pas, il était bien trois heures de l’après-midi. Ce n’était pas vraiment le genre de Saga de boire ce liquide à un moment pareil de la journée, surtout qu’il semblait fatigué. Ludivine s’assit sur une chaise, alors que le grec faisait chauffer de l’eau, et elle déposa les pâtisseries sur la table, ouvrant la boite pour dévoiler des gâteaux en pâte à choux.
« Dis, Saga, ça va pas ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Tu ne bois jamais de café à une heure pareille de la journée.
- Je ne me sens pas bien, c’est tout.
- Qu’est-ce qui t’arrive ? »
Saga s’assit à son tour, après avoir posé les tasses devant eux. Il inspira, puis poussa un soupir, visiblement fatigué. La blonde haussa un sourcil.
« Il y a quelques jours, j’ai découvert une de mes connaissances à l’hôpital. Il a reçu une balle dans le ventre et un coup à la tête. Maintenant, il est plongé dans un profond mutisme, il ne réagit à rien, ni à son prénom, ni aux attentions.
- Eh bé…
- Il sort d’une affaire un peu bizarre, on ne sait pas grand-chose sur ce qui lui est arrivé. Avec d’autres personnes, il aurait été séquestré par une organisation, et il se retrouve là, tout seul, hors du monde réel, sans papiers ni rien.
- C’est gai, ton histoire !
- Alors je l’ai pris à ma charge, il est chez moi depuis hier, mais c’est fatiguant de le voir comme ça, sans réaction.
- Tu le laves, et tout ?
- Ouais. Pas évident.
- Je veux bien te croire. »
Saga poussa un soupir à fendre l’âme. À vrai dire, il était déjà épuisé psychologiquement. La veille, Mû était rentré dans leur logement. Saga l’avait porté jusqu’à sa chambre, où il l’avait couché dans son lit, et Mû n’avait rien dit, n’avait rien fait, telle une poupée de chiffon qu’on déplace à sa guise. Il s’était occupé de lui toute la journée, l’amenant dans la salle de bain, aux toilettes toutes les trois heures, lui portant ses repas qu’il arrivait miraculeusement à manger seul, si ses aliments étaient coupés. Car l’usage du couteau lui était inconnu, mais prendre la fourchette et porter les aliments sans saveur dans sa bouche, il semblait en être capable, bien qu’il mette un temps infini à mâcher.
Ludivine l’écoutait parler de ce mystérieux jeune homme qui se trouvait à l’étage, et également des chamboulements que sa venue venait de provoquer. Kiki, qui l’avait également très bien connu, supportait avec beaucoup de mal sa présence muette, car il avait beau lui parler, Mû ne réagissait aucunement. L’enfant s’était même enfui en pleurant. Kanon voyait la fatigue de son jumeau, mais lui-même, malgré sa moindre sensibilité, ne pouvait s’occuper du jeune homme, c’était au-dessus de ses forces. Il se rappelait du gamin qu’il avait aperçu plus d’une fois dans le Sanctuaire, et voir ce qu’il était devenu lui faisait plus de mal qu’il ne l’avouait.
Bien sûr, Saga ne parla pas à la jeune femme du Sanctuaire, où ils avaient vécu tant d’années. Ludivine ne savait strictement rien de leur passé de chevalier, ils avaient toujours veillé à ne pas y faire allusion, et malgré le mystère qui persistait sur leur vie antérieure, la blonde ne cherchait plus vraiment à savoir, contrairement à Lys, aussi obsédée discrètement par ce détail que Kanon par le nom de son amant.
« Tiens, mais qui vois-je en mon humble demeure ?
- Hello Kanon ! En forme ?
- À fond.
- Ça se voit que t’es motivé pour aller bosser.
- Sincèrement, Saga, je préfèrerai encore faire les magasins avec Lys pour trouver des fringues pour ses gosses que me taper ce… de rendez-vous.
- C’est ça, restons poli ! »
Ludivine éclata de rire, alors que le grec, portant son costume impeccablement repassé, sa longue tignasse de cheveux bleus coiffés également avec un certain soin. Comme d’habitude, quoi.
« Pourquoi tu dis ça ?
- On a rendez-vous avec M. Breitwegerich.
- Oh non…
- Oh si !!
- Il se passe quoi ?
- Il se passe que ce type me mate comme on regarderait un bout de viande !
- Un bout de viande très appétissant, Kanon.
- Oh, Saga, je t’en prie ! Ce type me fout la chair de poule !
- À toi, le grand et imposant Kanon Galanis ?
- Il se trouve que le grand et imposant Kanon Galanis ne supporte pas quand un homme le lorgne avec insistance pour lui proposer après un rendez-vous dans une chambre d’hôtel, okay, blondasse ?
- Discrimination.
- Tu vas bien t’en sortir.
- Si Lys ne le tue pas avant, elle ne supporte pas qu’on me mate comme ça. Je te jure, Saga, il faudrait enfermer ce gars-là, ne souris pas comme ça ! »
Pourtant, le grec ne cessait de sourire à son frère, qu’il avait toujours connu si sûr de lui, sans craindre rien ni personne. Maintenant, le voilà tremblant à l’idée d’être face à un homosexuel qui assumait pleinement, même un peu trop pleinement à son goût. Lys non plus ne supportait pas cet allemand incapable de tenir deux minutes sans essayer de draguer un beau gosse assis à table, Kanon y compris bien sûr. C’était son adjoint à elle, on n’y touche pas !
La blonde fut soudain étonnée de ne pas voir Kiki, qui en général rappliquait quand elle arrivait. Elle ou quelqu’un d’autre, c’était pareil. Il aimait bien s’incruster dans les « conversations pour adultes ». En y pensant, Saga en fut également surpris, et c’est alors que son frère poussa un soupir en avouant qu’il sortait tout juste de sa chambre. L’enfant jouait à la Playstation, et il avait bien entendu que quelqu’un venait d’entrer, mais il était si triste qu’il ne voulait voir personne. Ça ne lui ressemblait pas d’être dans un état pareil.
Le visage de l’ancien Grand Pope s’assombrit, alors que Ludivine se levait de table pour montrer à l’étage, plus spécialement dans la chambre de l’enfant, qu’elle trouva tout excité, s’acharnant avec obstination sur la manette qui n’allait pas tarder à rendre l’âme.
***
Chapitre 3 ici. ;)
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