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''Souviens-toi'' by Ludi
Chapitre 4
« Cher Saga que j’aime beaucoup,
Je ne pourrais pas t’accompagner cet après-midi à la Fnac comme c’était prévu parce que ma sœur a une gastro-entérite qui lui mène la vie dure, et mes parents sont partis en week-end. Enfin, week-end… Depuis mardi, quoi. Ça fait trois jours. C’est long, trois jours, surtout quand t’as quelqu’un coincé dans les toilettes non stop. Bref, passons. Tout ça pour dire que je me sens d’âme généreuse et pas du tout motivée à laisser ma sœur toute seule à la maison hurlant qu’elle souffre le martyr à un endroit que je ne nommerai pas.
Oui, je sais, je t’embête avec ce mail et que je gaspille de ton précieux temps et que tu peux pas taper la suite de ton roman et que tu es un peu en retard et que Kiki rentre ce soir, et… »
Cette fille est bavarde même dans un simple message, c’est effarant, soupira intérieurement Saga en lisant le mail, souriant légèrement.
« Dooooonc ! Je ne pourrais pas t’accompagner à la Fnac cet après-midi. Oui, moi aussi ça m’en coûte, qu’est-ce que tu crois ! Moi aussi j’ai envie de lire des mangas ! Ah ouais, t’aime pas ça… Bref, j’ai envie de manger des bouquins, et je peux pas, à cause de la sœurette qui est malade. Te jure…
Bisous !!
Ludi »
Le grec se dit intérieurement qu’elle n’avait pas besoin de signer, il pouvait deviner tout seul comme un grand qui avait envoyé ce mail, mais bon, il ne lui en ferait pas la remarque. Souvent, ils faisaient des petites sorties comme ça, juste histoire de quitter un peu ce pavillon où il s’enfermait presque toute la journée. En fait, c’était plutôt la blonde qui le forçait à sortir, mais d’un autre côté, cette casanière n’allait jamais très loin, se limitant en général aux magasins de livres ou mangas. Une vraie passion, chez elle.
Soudain, Saga se laissa aller en arrière sur son siège et poussa un long soupir. Il ferma les yeux, la tête penchée vers l’arrière, et se dit que, finalement, il ne passerait pas au magasin, il resterait ici. Laisser Mû seul ne posait pas vraiment de problème, dans le sens où il ne bougeait pas et que personne ne pouvait entrer dans le pavillon, mais ses sens protecteurs lui dictaient qu’il valait mieux rester à la maison. Ludivine était prise, et il lui fallait vraiment une bonne raison pour ne pas prendre sa voiture pour dévaliser la Fnac, alors il ne sortirait pas non plus.
Lentement, ses paupières dévoilèrent ses yeux bleus. Kiki et son frère rentraient le soir même, et il avait hâte de les retrouver. Son roman était presque achevé, il n’aurait plus qu’à contacter son éditeur et à le lui faire lire. Il était plutôt fier de lui. C’était une histoire somme toute très simple, quand il y pensait. Deux frères, très liés. Un destin qui les sépare, un avenir qui les rapproche. Un peu leur histoire, à tous les deux, dans des situations différentes. Mais en fait…
Dans ce livre, il avait été plutôt pudique, ne sachant comment exprimer ce qu’il avait vraiment ressenti, ou sans oser avouer ses sentiments. Il savait que Kanon le lirait, comme il l’avait fait avec les autres, sans l’avouer franchement. Mais, dans le fond, Saga savait que son jumeau comprendrait à travers certains mots vagues, certaines allusions qu’il serait le seul à comprendre. On lui poserait des questions, Lys et Ludivine seraient aux premières loges. Mais il ne leur dirait rien, et aucun doute que Kanon se vanterait de savoir ce que voulait dire son frère. De quoi faire jaser les deux jeunes femmes.
Non, aujourd’hui, il ne sortirait pas. Il resterait à la maison et finirait son roman, en veillant sur Mû assis sur son lit près de lui. Saga lui jeta un regard. Il n’avait pas bougé, le regard fixe, dirigé droit devant lui, un visage de marbre n’exprimant aucune émotion. Il fallait attendre. Seul le temps pourrait mouvoir son visage figé.
***
La voiture s’arrêta devant le pavillon. Une porte s’ouvrit, et l’enfant sortit du véhicule et s’étira. Le chauffeur quitta son poste pour se diriger vers le coffre où se trouvaient les valises. À l’intérieur, Kanon jeta un regard à sa patronne qui lui fit un signe négatif de la tête. En soupirant, le grec sortit à son tour, laissant seule Lys sur le siège passager. Alors que Kiki sautait avec joie dans les bras de Saga, l’adjoint prenait ses valises en glissant discrètement un billet au chauffeur, en lui demandant de monter la valise de la jeune femme jusqu’à chez elle. Il voulut refuser, il l’aurait fait de toute manière, mais le grec insista pour lui laisser ce pourboire.
C’est avec regret que Kanon regarda la voiture gris métallisé s’enfuir dans la rue, emmenant la femme d’affaires épuisée par ce voyage, certes plutôt court en avion, mais tous ces allers-retours dans la capitale ne lui avaient pas été bénéfiques. À croire qu’elle portait du plomb dans le ventre, elle se serait presque endormie sur Kanon dans les taxis, mais c’était sans compter sa volonté de fer, qui l’avait empêchée une fois de plus de sombrer dans un sommeil réparateur.
Quand la voiture disparut de son champ de vision, Kanon tourna les yeux vers son frère, qui écoutait le blabla incessant de l’enfant qui lui racontait en long, en large et en travers leur retour en avion. Ces appareils l’émerveillaient, c’était incroyable. Finalement, Saga réussit à lui faire comprendre que ce serait bien qu’il rentre, il était tard, il faisait froid et il devait sûrement être fatigué. Quand Kiki rentra à la maison, Saga daigna enfin jeter un regard à son jumeau qu’il serra dans ses bras, heureux de le revoir. De le savoir à nouveau à la maison.
Le froid perdit de son emprise sur le corps de Kanon, sensible aux basses températures malgré l’épais manteau qui le recouvrait. Il faisait bon dans l’entrée du pavillon. Son frère disparut alors qu’il retirait ses chaussures, sans doute pour surveiller Kiki en train de se changer. Il s’était lavé le matin même, il prendrait une douche le lendemain. D’un pas las, Kanon entra dans le salon et s’affala sur le canapé.
Ses paupières s’abaissèrent sur ses yeux fatigués. Il n’aurait pas pensé qu’un voyage puisse le fatiguer autant, mais ils finissaient à des heures pas possibles, les trajets en taxi étaient fréquents, et il avait un peu de mal à comprendre certains espagnols. Ils communiquaient en anglais, mais certains avaient un accent terrible au point qu’il devait décortiquer ce qu’il racontait pour tout comprendre. Même Lys avait un peu de mal par moments, bien qu’elle parle cette langue couramment, mais elle était épuisée, même si elle ne le montrait pas, et contrairement à son employé, elle n’hésitait pas à faire répéter les gens, au point de créer une certaine gêne pour ces personnes.
En somme, ce voyage n’avait pas été une partie de plaisir côté travail, mais sinon, il avait tout de même été agréable. Les deux adultes s’étaient accordés quelques moments de calme où ils firent profiter du séjour à Kiki qui vagabondait près d’eux, écoutant avec intérêt les gens parler autour de lui. Il ne parlait pas cette langue, Mû s’était ''limité'' au grec, au français, à l’anglais et au chinois. Quoique, il ait un peu de mal avec le chinois, mais son niveau était élevé. Saga lui payait des cours, car l’enfant ne voulait pas perdre ce qu’il avait appris, et il était très bon.
Lys était toujours impressionnée par le savoir de cet enfant, un peu trop en avance pour son âge mais elle trouvait cela intéressant. Elle-même avait appris cette langue asiatique, sur ordre de son père, et cela n’avait pas été une partie de plaisir. Elle était sa fierté, bien qu’il ait mis un peu de temps à admettre que ce serait l’un de ses derniers enfants, fille qui plus est, qui serait l’héritier de ses affaires. Affaires qu’elle tenait d’une main de fer, comme beaucoup d’autres personnes de ce monde, comme M. Jellinek, un ami de la famille Aries, ou M. Medicis, un italien qui avait débarqué dans le milieu depuis un petit moment.
Kanon ferma les yeux, et se laissa envahir par le silence bénéfique de cette pièce chaude de la maison. Leur maison, celle qu’il avait achetée avec cet argent presque tombé du ciel. Cette maison, où il vivait dans une quiétude presque surréaliste. Il y avait pensé, dans l’avion. Il devait être tombé dans une autre dimension. Tout était si différent d’autrefois, cette situation était trop belle pour être vraie. Lys, une patronne tout à fait à son goût en matière de travail, son frère si proche de lui comme quand ils étaient enfants… Et puis Kiki aussi, Rhadamanthe, les amis du travail… tout ça…
Doucement, Saga entra dans le salon, les yeux rivés sur son frère qui semblait épuisé, les yeux clos, mais le visage étrangement serein. Le grec sentit son jumeau s’approcher, puis prendre place à côté de lui.
Cette baraque, c’était leur monde. Et rien ni personne ne pourrait le leur prendre.
***
« Hey, Saga, tu connais pas la meilleure.
- Non, mais je ne vais pas tarder à la connaître.
- Qu’est-ce qui t’arrive, encore ? T'as fait brûler ton appart’ ?
- Kanon, c’est méchant !!
- T’as renversé quelqu’un ?
- Même pas.
- Qu’est-ce qui t’arrive alors ?
- Une copine a trouvé le moyen de me faire embaucher chez un homme d’affaires, je vais faire la nounou à un de ses amis handicapés. »
Dire que les jumeaux en furent étonnés était un euphémisme, ils étaient carrément stupéfaits et regardaient la jeune fille blonde avec des yeux ronds. Ludivine n’était même pas d’humeur à rire, bien que leurs têtes soient à mourir de rire.
« Pardon ?!
- C’est pas des conneries ! T’as un de ses amis qui s’est fait renversé par une voiture… Enfin, par la voiture de l’homme d’affaires, mais le gars s’est jeté devant. Et maintenant, il est handicapé, l’intelligent !
- C’est malin, ça…
- Kanon !!
- Et ma copine a réussi à me convaincre de m’occuper de lui. Je me suis fait avoir, nan ??
- Et c’est quoi, le nom du gars ?
- La victime ?
- Non, le patron, patate.
- Heu… Medicis, un truc dans le genre.
- Je te confirme, tu t’es fait avoir. Et en beauté.
- Merci pour ta sollicitude. »
Ludivine attrapa sa tasse fumante et la but à petites gorgées en se demandant si elle allait en sortir vivante. Ce dont elle doutait fortement d’après le regard clairement hilare du grec assis devant elle. Saga semblait exaspéré, décidemment, cette fille était incapable de dire non à quelqu’un. Kanon éclata de rire en voyant le regard désespéré de la blonde.
« Il parait que c’est un vrai chien, ce type. Lys l’aime bien, va savoir pourquoi. Un vrai cannibale, il te fait couler une société en un temps record, son ancien patron en a fait les frais. Complètement dépouillé, le type.
- À ce point-là ?
- Kanon, tu ne vois pas que tu lui fais peur ?
- Sans rire, c’est un type dangereux, dans les affaires. Pas autant que Lys, mais quand même. Remarque, Don Andreo n’était pas net comme type. Ses affaires n’étaient pas propres. Une merde en moins.
- Kanon, tu me rassures vachement, là.
- Ravi de t’être agréable. »
Il lui fit un sourire ironique, Ludivine lui lança un regard noir, qui le fit éclater de rire. Saga se demandait si la jeune fille allait s’en sortir. Elle n’avait pas grand-chose à craindre de l’handicapé, mais du patron, c’était une autre affaire. Enfin, si son amie le lui avait demandé, c’était qu’elle ne craignait pas grand-chose, sinon, elle ne s’y serait pas risquée.
« Kanon, tu l’as déjà rencontré ?
- Moi, non. J’aime pas trop ce genre de gars et je n’en ai jamais eu l’occasion. Mais Lys a un contact avec lui. Très bon contact, même. Il parait qu’ils ont eu une liaison, mais c’est aussi vrai que si la reine d’Angleterre avait roulé un patin à Sarkozy.
- C’est gai. Moi, je l’ai vu, ce matin, mais en coup de vent. Il avait l’air très sympa, le gars.
- C’est étonnant d’ailleurs qu’il prenne quelqu’un chez lui… parce que c’est ça, hein ?
- Ouais.
- Il est plutôt l’éternel célibataire qui prend une maîtresse de temps à autre, mais qui se consacre plutôt à son travail. Et il en a.
- Okay, je suis gâtée. J’espère que le gars sera gentil, ou je suis dans la mouise.
- Je te défendrai, moi !
- Kiki, je t’aime !
- Ça va être du joli.
- Ça c’est clair ! »
À nouveau, un fou rire s’empara de Kanon alors que Kiki s’installait confortablement sur les genoux de la blonde. Saga rit à son tour, en voyant l’enfant renifler la tasse et faire une grimace éloquente, puis reporter son attention sur les gâteaux secs posés sur une assiette.
***
La tête entre les mains, Kiki regardait son livre de français, apparemment très concentré. Ce devait être un exercice difficile pour qu’il soit aussi concentré sur cette page. Bien qu’il parlât couramment le français, il avait toujours quelques difficultés quand il l’écrivait, et cela se sentait dans les dictées que faisait fréquemment sa prof. Il fallait dire qu’elle était très pointilleuse, et plus d’une fois, Kiki s’arrachait presque les cheveux en voyant les fautes bêtes qu’il avait pu faire.
Kiki allait sur ses onze ans, et pourtant, il avait intégré cette année une classe de 6e. Son niveau dans toutes les matières était trop élevé pour qu’il soit encore en CM2, bien que ce soit son niveau du point de vue de son âge. Saga et Kanon l’avaient inscrit dans un collège privé pas très loin de chez eux. C’était d’ailleurs plus parce que c’était à côté que par souci d’instruction qu’ils l’y avaient placé, puisque le collège public était à plus d’une demi-heure de trajet.
Saga entra dans la cuisine et jeta un œil à l’enfant qui mordillait nerveusement son crayon. À bout de forces, Kiki poussa un soupir et lança un regard suppliant à son tuteur qui vint derrière lui pour l’aider. C’était un exercice relativement simple, mais Kiki n’était pas très doué quand il écrivait le français, malgré ses efforts, et avec les autres langues qu’il connaissait, il y avait de quoi se perdre.
Quand l’exercice fut terminé, l’enfant soupira fortement, comme s’il venait d’accomplir quelque chose d’extrêmement difficile, ce qui fit sourire Saga. Il lui ébouriffa les cheveux gentiment.
« C’était pas si difficile que ça.
- Mais si ! C’est dur, le français !
- Mais c’est une jolie langue.
- Ouais, t’as raison.
- C’est étonnant quand même, toi qui aimes bien lire, tu fais des fautes monstres.
- C’est pas moi qui fais des fautes, c’est elle qui sait pas écrire. »
Saga haussa un sourcil et pouffa devant cette mauvaise foi enfantine. Kiki lui fit un sourire moqueur, en lui disant qu’il ne pouvait qu’aimer le français, Mlle Poumer était une jolie dame. Saga leva les yeux au ciel. Il se souvenait très bien du professeur principal de l’enfant, c’était limite si elle ne lui avait pas fait du rentre dedans, Kiki était écroulé de rire quand ils étaient sortis du rendez-vous. Kiki avait des notes « catastrophiques » en dictées, et elle multipliait les rendez-vous. Allez savoir si elle aimait discuter des problèmes de Kiki ou si elle hésitait à inviter son tuteur à dîner.
« Assez ri, maintenant, tu fais tes devoirs de maths.
- Ça va être rapide, ça, c’est trop facile.
- Je me demande ce que tu fais en 6e, toi.
- Si j’étais pas si mauvais en français, je serais en 5e.
- Et ensuite, ton chinois.
- Ah, c’est moins marrant, ça. »
Ils échangèrent un sourire, et Saga sortit de la cuisine, alors que Kiki poussait son horrible livre de français pour attraper son bouquin de mathématiques. Le grec monta à l’étage, marqua un léger temps d’arrêt devant la porte de sa chambre, puis poussa la porte et entra. Pas de changement. Mû, égal à lui-même, demeurait assis sur le lit, les mains posées sur ses genoux, regardant le vague. Il ne réagit même pas quand Saga entra.
Pourtant, le grec, par habitude, justifia son absence, il voulait voir où en était Kiki. Et il partait dans un monologue que personne à part lui et Mû ne pouvaient entendre. Le grec ne savait pas si le jeune homme pouvait l’entendre, mais il l’espérait. Saga s’assit devant son ordinateur, puis jeta un œil à son imprimante qui vomissait des pages et des pages tapées qui constituaient son nouveau roman. Il n’aurait plus qu’à donner son manuscrit à son éditeur.
D’un geste machinal, Saga attrapa sa souris et ouvrit une fenêtre, afin d’arriver sur messagerie. Tiens, il avait un message de Corinne. C’était une amie de Ludivine. Appréciant ses écrits, elle lui avait laissé un message, et c’était parti tout seul. C’était une personne très agréable qu’il voyait de temps en temps, mais ils discutaient beaucoup par mails et téléphone.
D’un clic, il ouvrit le message, et lut le mail plutôt long, comme à son habitude, tapé en violet. Il semblait concentré devant son ordinateur, une main sur la souris, l’autre tenant son menton. Il cligna des yeux, puis attrapa ses lunettes et les enfila avant de reprendre sa lecture. C’était plus facile de lire avec, il avait des soucis de vision. Peut-être qu’il passait trop de temps sur son ordinateur, mais c’était plutôt normal, il n’écrivait quasiment rien à la main, tout était sur ordinateur.
Corinne prenait de ses nouvelles, elle était inquiète pour lui, à cause de son nouveau locataire. Elle l’encourageait, puis partait sur divers sujets. Soudain, il haussa un sourcil surpris. La jeune femme se serait trouvé un fiancé ? Mais ce n’était même pas la nouvelle qui le surprenait, en fait. Il tiqua plutôt sur le nom de la personne. Mécaniquement, il cliqua sur des icônes pour voir l’image jointe, puis poussa un soupir, l’air désabusé. Il fallait croire que Rhadamanthe n’était pas le seul à être revenu à la vie, Eaque était de la partie.
***
« Saga, aurais-tu l’amabilité de me répéter cela ?
- J’adore quand tu me parles comme ça.
- Eaque est vivant ?
- Exact. C’est le fiancé d’une amie.
- Bah merde alors. Je ne suis plus le seul spectre en vie alors. Prions pour qu’on ne me retrouve pas.
- Tu as peur des représailles ?
- Je veux pas qu’on envahisse mon château. »
Rhadamanthe et la tranquillité, une grande histoire d’amour, songea Saga en regardant discrètement Kiki s’exciter tout seul sur son exercice de chinois.
« Déjà que l’autre vieux me soule avec son histoire d’escalators…
- Ah, c’est toujours pas réglé, cette histoire ?
- Mais non ! Enfin, ça va mieux, maintenant il veut mettre des ascenseurs. Quelle idée… Pourquoi pas tout repeindre en rose fuschia, au point où on en est.
- Kiki, ne jette pas ton livre par terre, il ne t’a rien fait !
- Nan, moi, c’est Rhadamanthe.
- Merci, j’étais au courant. Et voilà que ça sonne…
- On peut jamais être tranquille. Dix balles que c’est Kanon qui a oublié ses clés.
- Pari tenu. »
L’appareil toujours collé à l’oreille, Saga sortit de la cuisine en laissant Kiki bouder après son livre de chinois. Il atteignit rapidement l’entrée du pavillon et en ouvrit la porte.
« Gagné.
- Qu’est-ce que je t’avais dit ? »
Kanon haussa un sourcil.
« C’est qui au téléphone ?
- Rhadamanthe. »
D’un mouvement vif de la main, Kanon attrapa le combiné du téléphone et entra dans le pavillon. Saga lui lança un regard amusé, puis embrassa Lys et l’invita à entrer. La jeune femme retira ses chaussures et suivit Saga dans la cuisine, laissant son adjoint discuter gaiement avec son cousin. Enfin, là, ils étaient en train de se disputer, mais ce n’était qu’un détail.
Kiki leva le nez de la table et son regard s’illumina. Il vint embrasser Lys et lui demanda, ou plutôt la supplia, de l’aider dans son exercice de chinois, il était complètement perdu. La future mère ne savait pas si elle pouvait l’aider, mais elle accepta d’y jeter un œil. Saga lui servit un café, puis sortit de la pièce.
Dans le couloir, Kanon était toujours en train de discuter avec le britannique.
« Quand est-ce que tu viens à Paris, alors ?
- Je sais pas. Je pensais dans deux semaines.
- Tu ne pourrais pas être plus précis ?
- Je viens pas chez toi de toute manière. »
Le grec se mordilla la lèvre. C’est vrai qu’avec Mû à l’étage, Rhadamanthe ne pourrait pas venir chez eux, il devrait loger chez Lys. Dommage, il aimait bien quand il venait à la maison, on ne s’ennuyait pas avec lui.
« Je sais, mais…
- Je verrai ça avec Lys.
- D’accord.
- T’es déçu ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Je viendrais sûrement du 14 au 19.
- Rhadamanthe, ou l’art d’emmerder les gens.
- Moi aussi je t’aime beaucoup. Bon, je te laisse, à plus tard.
- C’est ça, à plus tard. »
Kanon leva les yeux au ciel. L’ancien spectre avait vraiment l’art de tourner autour du pot rien que pour embêter les gens, lui en première victime. Lys était plus franche que lui. Enfin, ils n’étaient pas frère et sœur, non plus, juste cousins. Vivement qu’il vienne…
« Saga ??
- Oui ?
- C’est quoi cette histoire avec Eaque ? »
***
À l’extérieur, il pleuvait des cordes. Des gouttes d’eaux frappaient avec violence les vitres des fenêtres, comme si elles voulaient les briser. Assise confortablement dans son canapé, Lys songea au moment où Kanon quitterait l’appartement. Il allait devoir affronter cette pluie torrentielle, si elle ne s’était pas arrêtée d’ici-là. C’était vraiment un temps de chien.
En silence, Kanon entra dans le salon assombri par le ciel gris qui déversait son eau sur la ville. Il y avait bien une lampe qui apportait de la lumière à la pièce, mais une semi obscurité demeurait dans la pièce chauffée. Lys détourna son regard de la fenêtre et lui adressa un sourire, alors qu’il posait un plateau sur la table basse. Il leur servit du café, puis prit place près d’elle.
Kanon voyait bien que sa patronne se fatiguait. Leurs rendez-vous étaient de plus en plus fréquents en ce moment, même lui avait un peu de mal à suivre le rythme, mais il faisait un maximum pour se rendre utile. Ce n’était pas vraiment son genre d’être un gentil chien serviable, mais il appréciait beaucoup Lys qui l’avait sorti de la misère et il voyait bien qu’elle avait besoin de quelqu’un sur qui se reposer. Et cette personne ne pouvait être que lui.
Cela lui conférait certains avantages, un certain pouvoir sur la blonde. Lys n’était pas quelqu’un de manipulable, mais elle aurait pu être influencée par Kanon, surtout en cette période difficile de grossesse. Le grec était un manipulateur, il en avait parfaitement conscience, et pourtant, jamais il ne tenta d’avoir une quelconque emprise sur sa patronne. Car cela ne pouvait que mal se terminer, et il avait suffisamment fait de bêtises et suffisamment souffert pour ne pas vouloir revivre ce genre de chose. Détruire son équilibre était impensable. Pour lui, son frère, et même Kiki.
Kanon se souvint de ses débuts. Petit employé, son travail l’intéressait peu, mais c’était toujours mieux que de travailler au noir. S’il avait pu rapidement monter dans la hiérarchie, c’était grâce à sa capacité de réflexion et à son esprit des affaires. Par reconnaissance, sa patronne se renseignait et voulait savoir si leur situation s’était améliorée. Et de fil en aiguille, l’amitié s’était tissée, et la blonde avait découvert d’intéressantes qualités chez cet homme étrange.
Lys lui avait tout appris. Aujourd’hui, il pourrait se débrouiller seul, il en était certain, mais cette idée le tentait peu. Il avait trente ans, une vie tumultueuse derrière lui, et il ne se voyait pas s’enfoncer dans les affaires, se construire un empire financier qui lui prendrait toute son énergie. Il avait appris de ses erreurs. Autrefois, il avait désiré posséder la Terre. Mais cela fait, que se serait-il passé ensuite ? Aurait-il pu faire accepter ses décisions facilement ? Oh ça non. Il aurait fallu se battre. Encore et encore. En un sens, c’était pareil, dans les affaires.
En temps qu’héritière des Taylor, Lys poursuivait les affaires de son père. Kanon préférait la soutenir dans sa tâche, être là quand elle en avait vraiment besoin. Bien qu’étant sous les ordres d’une femme, il aimait sa vie. En fait, il ne la voyait pas vraiment comme une femme, mais comme une personne à part en entière. C’était peut-être dû au fait que Lys ne l’avait jamais regardé de haut.
« Merde.
- Y’a quelqu’un qui sonne.
- C’est ce que je dis : merde.
- Je vais ouvrir.
- T’es pas obligé.
- Politesse exige. »
Lys se refrogna, elle ne voulait voir personne. Qui pouvait bien venir l’embêter à une heure pareille ? Il n’était pas loin d’être vingt heures du soir, sa journée était finie. Elle allait dîner tranquillement avec Kanon, ils étaient passés chez un traiteur chinois. Alors, qui était l’imbécile qui osait sonner chez elle ? Pour une bêtise en plus, elle en était sûre. Ce devait être son père, ou Henri, voire même René Charles. Peut-être même Jean, des fois qu’il aurait envie de gueuler un peu.
Avant d’ouvrir, Kanon regarda dans l’œil de la porte et poussa un soupir. Il se recula et ouvrit, s’imaginant déjà les pires scénarios.
« Lys, ma chérie !! »
La « Lys chérie » faillit en rechercher (renverser ?) son café en entendant la voix de crécelle de sa sœur aînée. Elle leva des yeux éberlués vers l’entrée du salon où se trouvait Agnès. Faite et refaite, c’était une jolie femme à la poitrine conséquente, à se demander comment elle pouvait se tenir droite avec son petit tour de taille. Ses cheveux autrefois bruns avaient été teints en blond platine et des lentilles bleues masquaient ses iris noisette. Elle portait un ensemble rouge à demi caché par un manteau.
Un grand sourire ornait ses lèvres peinturlurées de rose. La tasse au bord des lèvres, Lys haussa un sourcil, lui demandant implicitement ce qu’elle pouvait bien foutre chez elle à une heure pareille.
« Lys, mon ange, je suis heureuse de te voir !
- Le plaisir n’est pas partagé.
- Pourquoi tu dis ça ? Tu me vexes ! »
Agnès prit place dans un des fauteuils, se mettant à l’aise. Kanon les rejoignit dans le salon, s’asseyant à l’opposé, sur un autre fauteuil. La sœur de Lys jeta un regard critique au salon, trouvant que la décoration manquait de goût, sa cadette aurait pu faire un effort, tout de même.
« Si la déco te plaît pas, tu peux toujours t’en aller.
- Tu manques d’esprit d’hospitalité.
- Et toi de politesse. Qu’est-ce que tu veux ?
- N’ai-je pas le droit de venir voir ma chère petite sœur ?
- La chère petite sœur est très étonnée de voir sa grande sœur débarquer chez elle comme une fleur à huit heures du soir passé. Excuse-moi, mais j’ai d’autres projets que de taper la discute.
- D’autres projets ? »
Agnès sourit à Kanon puis lança à sa sœur un regard entendu. L’adjoint faillit s’étouffer avec son gâteau, alors que Lys recrachait tout simplement son café dans sa tasse, et de façon peu élégante. Agnès sembla étonnée.
« Agnès, te fais pas d’illusion, il n’y a absolument rien entre Kanon et moi.
- Pourtant, tu…
- On dîne ensemble ce soir, c’est vrai, mais c’est juste entre amis, okay ?
- Vous êtes très proches, Lys.
- Plutôt crever que de lui rouler un patin.
- Dis tout de suite que je suis dégueulasse, crétin !
- J’osais pas le dire.
- Ça fait toujours plaisir.
- Qui est le père de tes enfants, alors ?
- Même mon adjoint ne le sait pas, alors c’est pas à toi que je vais le dire ! »
Agnès fit la moue mais comprit très bien que sa cadette ne dirait rien à ce sujet. Elle pensait qu’il y avait quelque chose entre elle et son adjoint, mais son père lui avait assuré que ces deux là étaient liés par de l’amitié. Et seulement de l’amitié. En fait, son paternel aurait presque souhaité que Kanon fût son futur gendre, car si Lys ne voulait révéler à personne l’identité de son amant, c’était qu’elle savait que son paternel n’apprécierait pas.
Un soupir exaspéré s’échappa des lèvres de Lys. Sa sœur tournait autour du pot, elle se demandait vraiment ce qu’elle faisait là. Kanon regardait les deux femmes en se disant qu’elles étaient radicalement différentes toutes les deux. Lys avait tout de l’allure d’une femme d’affaires avec son air droit et posé, malgré son ventre conséquent, alors qu’Agnès faisait plus penser à un mannequin, avec ses cheveux platine et son visage maquillé à outrance.
« Bon, Agnès, qu’est-ce que tu me veux ?
- Lys, enfin !
- Agnès, tu me dis ce que tu veux ou je te jette dehors.
- Avec ton ventre énorme.
- Kanon peut le faire à ma place. »
Et elle était sérieuse. Kanon lui lança un regard désabusé, il se voyait mal jeter cette gonzesse hors de l’appartement. Enfin, au moins, ils seraient tranquilles, le grec commençait vraiment à avoir faim. Mais Agnès soupira en lançant un mauvais regard à sa cadette.
« Voilà. Comment dire…
- Accouche.
- Je veux qu’il sorte !
- Pardon ?!
- Il reste là où il est. Si quelqu’un doit sortir, c’est toi.
- Je veux divorcer.
- Mais encore ?
- J’ai un amant.
- Mais encore ?
- Lys !!
- Mais encore ?
- Bon, d’accord, je suis enceinte !
- Eh bah voilà. »
Lys fit un geste avec ses bras, l’air de dire « c’était pas si compliqué ! ». Agnès était maintenant toute gênée. Elle avait longtemps hésité avant de venir voir sa sœur, mais elle n’avait pas vraiment le choix, personne à part elle ne pourrait arranger l’affaire avec leur père, très à cheval sur ce genre de chose. Kanon se disait que ça devait arriver à un moment ou à un autre, et sa patronne pensait de même.
« Lys, il faut que tu m’aides !
- Écoute, ma belle, t’es une grande fille, alors tu vas te débrouiller toute seule.
- Mais…
- Soit tu avortes, soit tu divorces. Prends ta décision, et rapidement si possible, et assume ton choix. Moi, je t’ai trouvé une situation potable, tu n’en veux plus, à toi de te débrouiller avec Père.
- Tu ne peux pas me laisser comme ça !
- On parie ? »
Lys planta son regard dans les yeux bleus de sa sœur aînée qui, par esprit de contradiction, voulut le supporter, mais les prunelles sombres de sa cadette l'incitèrent rapidement à baisser la tête. Lys but une gorgée de son café.
« Tu aurais mieux fait de rester chez toi. Moi, je ne peux pas t’aider. J’ai suffisamment de problèmes avec Père comme ça.
- Tu n’as jamais eu de problème avec Père.
- J’attends des jumeaux et il continue à vouloir savoir qui en est le père. »
Agnès leva les yeux, surprise. Des jumeaux ? Pas étonnant que le Patron soit d’une humeur massacrante, Lys serait obligée de s’arrêter bien plus tôt que prévu. Et puis, cet amant inconnu était un grand mystère. Ce n’était pas un homme du Business, et Dieu savait comme il y avait des hommes qui n’en faisaient pas partie.
Dans un denier effort, la femme blonde tenta de persuader sa sœur qui lutta avec toute sa bonne foi naturelle de lui balancer ses quatre vérités et à la jeter dehors. Leur dîner refroidissait et elle avait très faim. Finalement, Kanon s’y mêla, parce qu’il devait avoir faim lui aussi, et Agnès finit par partir, dépitée.
Tant pis pour elle, songea Lys. Elle ne voulait pas être en conflit avec son père pour une bêtise pareille. Père n’était pas un monstre. Bon, certes, il faisait un peu peur, mais bon, il allait lui en coller une par la parole, la démonter en petits morceaux. À part ça, elle n’avait pas grand-chose à craindre.
Quand elle fut partie, tous deux poussèrent un soupir. Et d’un même mouvement, ils s’enfuirent dans la cuisine pour faire réchauffer leurs plats et les manger fort peu élégamment.
***
Suite du chapitre ici. ;)
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